CHAP 10 LES ORDINATIONS SACERDOTALES DE KAPANGA
Une Eglise n’est pas encore enracinée dans le terroir évangélisé si elle se refusait à y susciter des vocations sacerdotales locales. Cela, en effet, équivaudrait à dire aux fils du terroir, : « La chose ne vous concerne pas ».
C’est ainsi que les Franciscains conscients de ce fait ont accepté d’envoyer des jeunes lundas en formation au Séminaire pour le sacerdoce. Dès le début des années 1960, on pouvait déjà gouter aux délices de cet investissement :
- Le 08 mai 1960 : ordination de l’abbé Michel NAWEJ
- Le 02 août 1964 : ordination de l’abbé Christophe REMB
- Le 08 août 1965 : ordination de l’abbé Paul MBANG
Nous avons rencontré ce dernier, et il nous fait le récit de du grand événement de son ordination:
En 1965, Kapanga accueillait dans la liesse et les chants un de ses fils, l’abbé Paul Mbang. Il venait d’être ordonné prêtre à Kolwezi, le 08 août de cette même année devant le Lycée Notre Dame des Lumières. Nous n’allons pas vous livrer ici la description de l’ordination proprement dite, qui, comme le dit si bien le concerné, se déroula sur une ‘terre étrangère’. La famille qui y était représentée attendait avec une patience mesurée le retour au pays natal à Kapanga et plus précisément dans le village de CHIPAZ. C’est là, en effet que l’événement se revêtit de toute sa magnificence. Jamais foule n’avait été aussi nombreuse que ce jour-là, dans ce village de l’autre rive de la Lulua . Le nouvel ordonné y entra en prince porté sur le traditionnel ‘chipoy’ au milieu des danses et des acclamations (Tulabul). Il était vraiment heureux et consolé d’appartenir à un clan enraciné dans la digne culture lunda. L’abbé Paul nous rapporte qu’il lut dans son village sa messe des prémices devant une assistance incroyable : aussi inattendue que douteuse quant à ses sentiments véritablement religieux. Ce jour-là, unique depuis la création du monde, il n’y avait plus, à Chipaz, de distinction entre familles catholiques et familles méthodistes. Les animistes et les païens de toutes sortes avaient oublié leurs convictions et étaient emportés dans le tourbillon d’une joie sainte et catholique. Le plus important était d’honorer le village par ce fils exceptionnel. Après la messe, les débordements se poursuivirent dans les danses traditionnelles de Dikand, Kalal-a-Kabooz, Moy, Mandjos etc.
Plusieurs discours furent prononcés en commençant déjà par Kolwezi, puis à Chipaz et à Musumba.
Les années 1960 et 1970 s’écoulèrent sans qu’il y ait des jeunes gens de Kapanga qui entrèrent dans les ordres. La nouvelle vague des ordinations ne commencera qu’en 1986, une vingtaine d’années plus tard. Cette fois-là, c’est le village de Mulambo qui fut honoré avec l’ordination de son fils KABEY MUCHAIL EMMANUEL. Comme son lointain devancier, l’abbé Emmanuel fut ordonné aussi devant le Lycée Notre Dame des Lumières à Kolwezi, c’est quelques jours plus tard qu’il se rendra à Kapanga pour célébrer ses prémices. Il fallait bien qu’on ordonnât un jour sur le sol même de Kapanga un fils du pays.
Cela arriva en 1987 : trois prêtres et un diacre y seront ordonnés par Monseigneur Songasonga : d’abord l’abbé Hubert Mutombu à Kalamba, le 19 septembre 1987, puis les abbés Kapend Museng Sabin, Kapend Sabul Albert et Muchak-a-Kasang Emery (ce dernier comme diacre) à Musumba, le 26 septembre 1987. Les Kapend étaient vraiment bienheureux ce jour-là, et l’on chanta pour eux cet hymne aux Kapend : « Chakin a Kapend amboku, tusangar nen, ushon wapwang kal » La joie et le chikur coulèrent à flot…
En 1989, on consacra de nouveau la formule des ordinations à Kolwezi. On ordonna les abbés Mushid Ngambu Jean-Pascal et Mutombu Chey Christophe à Mariapolis-Kolwezi. En septembre de la même année, ils se rendirent dans leurs villages respectifs célébrer les prémices, à Museng pour l’abbé Jean-Pascal et à Kambamb pour l’abbé Christophe.
L’année suivante en 1990, l’abbé Kadjat François ordonné à Kolwezi, suivit le même cheminement en venant sanctifier son village de Ntembo près de la rivière RIZ.
Partout où l’on fêtait ces événements, le nouvel ordonné était comme intronisé chef spirituel de son village : et l’on jubilait toujours avec la même piété ambiguë où le folklore prenait très vite le dessus : la messe, chaleureusement chantée, est rythmée par des coups de fusil (qui arrachaient souvent des tressaillements à Mgr Songasonga). A ces salves répondent des cris aigus des mamans toujours transportées dans une euphorie insatiable. La danse est présente d’un bout à l’autre de la messe. C’est la fête…
CHAP 11 : LA PERCEE DES ABBES A KAPANGA
Depuis sa fondation en 1929, la mission de Kapanga ne fut évangélisée que par des missionnaires des Congrégations Franciscaine et Salvatorienne. Les prêtres diocésains étaient pratiquement inconnus. Bien sûr, nous avons signalé, au passage, le travail missionnaire accompli officieusement dans cette contrée par l’abbé Mukendi David au compte de la province du Kasaï. Cette présence fut contestée par la population lunda. Il fallut attendre plus de quarante ans depuis la fondation pour que le Diocèse puisse enfin envoyer le premier prêtre autochtone œuvrer à Kapanga.
1.1.1. L’ABBE MUZUKA MAVUNGA GABRIEL
Le 1er octobre 1983, Mgr Songasonga Evêque de Kolwezi, daigna envoyer à Kapanga le premier prêtre autochtone travailler dans cette mission. Il habitera un moment à la mission Ntita, mais exercera son ministère dans la Paroisse Sainte Famille à Kapanga - village. Il finira par y demeurer. Mais son séjour fut vraiment bref : deux années plus tard, il quittait ce sol pour commencer une nouvelle Communauté des abbés à Kasaji en 1985.
1.1.2. L’ABBE ALAIN KALENDA KET
112.1 « Après la vie de l’école, c’est l’école de la vie. »
En 1989, j’avais un an de sacerdoce quand Monseigneur Songasonga me détacha de la mission de Kafakumba pour me transférer à Kapanga à double titre de vicaire paroissial de Ntita et vicaire paroissial de Musumba. Le ministère d’un abbé zaïrois était une nouveauté pour ces deux paroisses. C’était ma percée dans le bref salvatorien.
J’y débarquai le 06 septembre 1989, accompagné par l’abbé Gabriel Muzuka. La mission était déserte : tous les missionnaires salvadoriens avec qui je devais désormais vivre étaient en vacances, seul un jeune stagiaire laïc belge, Patrick Neys expédiait les affaires courantes des finances ou d’ordre social. Pas de messes !
Je commençais donc ma pastorale en apprenant tout de moi-même, navigant entre Ntita et Musumba jusqu’en novembre quand arrivèrent mes ainés confrères salvatoriens Père Joseph CORNELISSEN et Père Paul WEY. Père Joseph était mon Curé qui devait m'aider dans mon ministère à Kapanga: il me chargea de m’occuper plus de la Paroisse de Musumba, sans négliger pour autant les activités à Ntita.
Les festivités de mon accueil furent organisées séparément dans les deux paroisses. Et ces fêtes de bienvenue se multiplièrent selon les différents groupes paroissiaux : d’abord celle du conseil Paroissial et puis des légionnaires, des Kiros, des acolytes, des enseignants, des militaires dans leurcamp, etc.
Il fallait commencer enfin le travail. Au menu du quotidien : je m’acclimatais par des rencontres des personnes, les visites des CEV, je tranchais des différends et puis commencèrent les activités de mes dix villages attachés à la desserte de la Paroisse de Notre Dame de Fatima Musumba. Mensuellement je présidais le conseil Paroissial…. Je m’organisais progressivement. Mais la Paroisse était encore sous le choc de la disparition de certain animateur pastoral Mases Marcel, animateur très célèbre, mort le 19 mai 1989, quelques mois avant mon arrivée. Cela amena quelques perturbations dans le comportement chrétien de beaucoup : on était, en effet, préoccupé plus par la recherche du sorcier qui aurait emporté Mases. Il était urgent de se pencher sur ce problème et de créer un nouvel esprit au sein de la communauté paroissiale. Avec l’aide de Dieu, nous y parvînmes, on oublia peu à eu les dissensions qui déchiraient la paroisse à cause de la mort de Mases, et on devait commencer une nouvelle histoire, dans une nouvelle dynamique.
Quelques années passèrent pendant lesquelles je me suis impliqué à fond dans mon travail pastoral : l’intégration était déjà chose faite. Au conseil paroissial, nous décidâmes de réaliser certains projets : cuire un four à briques pour la construction prochaine d’une deuxième église dans la cité de Musumba, créer un domaine marial dont l’inauguration eut lieu déjà, même sans construction d’édifices, le dimanche 27 mai 1990 lors d’un pèlerinage et d’une messe célébrée sur les lieux situés au bout de la cité Kambove de Musumba sur la route de Nfachingand. Nous cultivâmes un champ paroissial….. Les messes dominicales étaient des véritables fêtes ou les fidèles louaient chaudement le Seigneur sous le rythme entrainant des chants lunda des chorales KUSENG et CHISAMBU. Les visites des villages environnants faisaient aussi ma joie : KAZOL, KANAMPUMB, KATENG ; CHISHIDIL, KATALAL, KARL, MWANT ILAND ; partout j’étais accueilli avec la même émotion religieuse, avec le même délire et la même gaieté…..
En août 1992, Monseigneur l’Evêque, remarqua mon travail accompli dans la Capitale de l'Empire Lunda, il me confirma Curé de Notre Dame de Fatima – Musumba, par une lettre officielle. En pratique j’en faisais déjà office. Mais, la politique allait bientôt se mêler à la marche de l'Eglise. Le Zaïre venait d’entamer son long processus de démocratisation, les partis politiques pullulaient partout.
Au Katanga l’UFERI faisait figure de grand et unique parti des Katangais. Un conflit assez sérieux advint, lorsque dans un sermon dominical (le 29 mars 1992), j’ai dénoncé le comportement odieux et brutal de certains partisans de l’UFERI qui rançonnaient leur propre population. Le président territorial de ce parti ne toléra pas « l’immixtion des calotins dans la politique ». Les dirigeants de l'UFERI Musumbaentamérent une campagne d'intoxication de la population contre le Curé que j'étais. Ils créèrent un climat malsain dans le village : on ne me laissa désormais plus tranquille. Les instances officielles de l'Etat affectèrent à mon domicile des miltaires pour ma garde de nuit. Pendant cinq mois je vécus sous cette pression psychologique des miltants de l'UFERI. Ma nomination de Curé en août me réconforta un peu mais, pas pour longtemps. En effet, le 26 septembre 1992, je quittais Kapanga avec ma Land Rover pour m'exiler à Kolwezi.
J'y fus reçu par Monseigneur Songasonga, mon Evêque. Il me demanda de demeurer à Kolwezi le temps qu'il fallait, mais je devais retourner à Musumba dès que possible. Mon exil durera finalement cinq mois.
A Musumba, c’est la consternation de beaucoup de fidèles catholiques restés sans pasteur. Les jeunes enfants continuèrent à chanter dans la rue et dans leurs jeux ce refrain de triomphe qu’ils avaient composé auparavant lors d’une rencontre de football où notre équipe sortit victorieuse : « Abbé walond, Abbé walond yangany kwen ukawinany, kwikil chom chikwezakwo ». Ce qui veut dire : « l’Abbé nous a dit, allez gagner, rien ne vous arrivera ». Un chant symbolique certainement : oui ! Le Christ lui-même vaincra, l’œuvre commencée par le Père Evrard à Kapanga en 1929 se poursuivra...
De Kolwezi je me rendis à Lubumbashi où je fus reçu par le puissant Gouverneur du Katanga, Monsieur Kyungu wa Kumwanza, à son domicile de l'Avenue Kipopo. Il était l'un des fondateurs du parti de l'UFERI. Il minimisa l’affaire, et me manifesta sa sympathie et son désir de me voir continuer à œuvrer à Musumba : "Tu es fils Katangais, me dit-il". J'étais conduit chez le Gouverneur par Monsieur Muyej Mangez, un ami et membre influent du parti.
Le 15 février 1993, je regagnais Musumba. J'y fus accueilli triomphalement pour commencer de nouveaux combats pour le Seigneur Jésus.
1.1.2.2. SOUVENIR DE VIE EN MISSION
A certaines heures de repos et de souvenance, l’esprit vagabonde ça et là, il s’accroche à la mémoire d’un voyage ou d’autres événements. C’est un flot des souvenirs vivants dont il me plait de conter ici quelques-uns
La mission c’est la joie d’être utile à une multitude des personnes connues ou non ; la vie est rythmée par des faits, importants ou anodins.
Tôt le matin, la journée commence par l’offrande de la messe : la cloche sonnée par le sacristain mi-sommeillant, retentit dans le silence matinal en même temps que le crépitement du tam-tam (mond, en lunda ) des voisins méthodistes. La nuit s’achève, le crépuscule matinal se désagrège progressivement. Les silhouettes des cases de la capitale de l’Empire se dessinent. Des voix annoncent que la vie ressuscite. Sur la route de l’église, des fidèles s’empressent à rejoindre la paroisse par groupe de 4 à 5 personnes. La messe commence à 6 heures chantée par quelques pieux et persévérants disciples. Immédiatement après la messe, on n’attend pas un rendez-vous, vous êtes littéralement accaparé : l’un vient s’enquérir de votre santé, l’autre demande qu’on bénisse son chapelet, un troisième est estropié, il a besoin qu’on l’assiste. C’est alors seulement qu’on peut se retirer pour la récitation du bréviaire et commencer les activités ordinaires de la mission. Le soleil point déjà là haut. Le Curé est au centre du village :
"Monsieur l’abbé, les fidèles vous attendent au four des briques qu’on construit à la cité". – Bon j’y viens bientôt !
Et dans l’entre-fait, on frappe à votre bureau :
"Mwant abbé, voici une palabre sur la sorcellerie…. Suit un long récit passionnant des histoires qu’on serait tenté de juger de farfelues". Mais il fallait accorder de l'importance à la personne tourmentée.
"Mwant abbé, voici un message qui vient du palais de Mwant Yav, le Grand Chef voudrait que…."
"Mwant abbé, les militaires viennent d’arrêter arbitrairement un de nos fervents chrétiens, il faut vite intervenir, il est maltraité….."
Mwant abbé, un chrétien va bientôt rendre l’âme, il demande l’onction".
Et l’on applique le principe qui nous demande d’ « avoir dans son sac une chanson pour chaque peine. Chaque individu est toujours nouveau et son problème est toujours le plus important. L’exercice du sacerdoce est de s’exercer à se composer un visage toujours affable prêt à écouter, même quand vous êtes contrarié par des problèmes qui vous sont propres. Parfois, on est quand même exténué, l’énervement prend le dessus. Parfois aussi les « ayant droit » à la charité se font légion. Et on n’est pas riche pour tant distribuer….On se lasse. De fil en aiguille, on termine une journée. On rentre dans la cour interne prendre son repas. La nuit tombe. L’électricité est, bien sûr, inexistante.
– "Monsieur l’abbé, on n’a plus de bougie pour l’éclairage au réfectoire et au salon, constate Papa Fidel, le cuisinier". Au ciel, le premier quartier de la lune monte ses reflets qui éclairent à peine. – "Tant pis, Papa Fidel, je resterai dans la cour, au clair de la lune, sers-moi le repas du soir ici…"
« Quand viennent les soucis, ils ne viennent pas simples espions mais bataillons entiers ». (SHAKESPEARE)
Ce vendredi 26 février 1993, est une journée de malheur. Une tornade s’abat sur le village. Les maisonnettes se devinent à peine à travers la masse pluvieuse. Un vent terrible accompagne cette tempête. Le vacarme des tôles devient de plus en plus assourdissant. Dans la désespérance étreignante de cette fin d’après-midi, je contemple à travers les voiles des larges fenêtres de mon bureau les dégâts : des maisons qui croulent, des arbres qui craquent, une foudre qui éclate. L’angoisse me saisit. Tenace et inlassable, la pluie continue avec la même force destructrice. Elle finit par soulever une partie du toit de mon église, Notre Dame de Fatima : Tôles et plafond métalliques s’envolent dispersés jusque devant mon bureau. L’antenne de ma petite phonie est terrassée. J’assiste à ce tableau macabre, le cœur serré. A peine revenu d’exil ! J’avas dix jours depuis mon retour à Musumba. Et le carême venait de commencer. Progressivement, le ciel imposa son silence. Il est 18 heures. J’avais bien peur ! Mais dehors l’on entendait déjà les jacasseries de la foule des badauds et les criailleries des enfants contemplant le majestueux édifice, dépouillé. Seigneur ! Un événement de plus dans ma petite vie de pauvre jeune Curé ! Il fallait tenir tête au découragement. Abbé Alain, curé de brousse sur qui tous les yeux des fidèles étaient braqués, rôle délicat et pénible, j’acceptais de le jouer jusqu’au bout. Nous devions relever le défi nous-mêmes, sans financement de l’étranger: j’encourageai en ces termes les fidèles. Quelques mois plus tard, avec, quand même, le concours de la mission Ntita où habitaient mes confrères et nantis Pères Salvatoriens et même avec le concours de la mission méthodiste (qui nous prêta un poste à souder), nous parvînmes à remettre tout en place. Et la vie continuait… avec de nouveaux appels à l’initiative, à l’ingéniosité et surtout au cran.
EN TOURNEE…
La vie en mission, c’est aussi les visites des communautés chrétiennes de la brousse intérieure. Les villages dont j’ai parlé ci-haut attendaient toujours ma prochaine arrivée. Aujourd’hui, nous allons vers le village de Mwant KARL, à une vingtaine des kilomètres de Musumba. L’animateur pastoral, KAPEND CHITAV Boniface, qui m’accompagnait dans ces tournées est arrivé tôt à la Paroisse d’où nous devions partir. Ma moto Honda était prête. Un dernier coup d’œil avant le voyage : "rien n’est-il oublié ? Calice, ciboire, hostie et vin, missels, les huiles saintes…?" Mon compagnon acquiesce. Tout y est vraiment. Plus qu’à fermer mon sac blanc où tout cela est fourré. Bientôt l’animateur l’accrochera sur son dos. Un dernier adieu à papa Fidel, le cuisinier. J’empoigne les guidons de ma Honda après avoir attaché le casque de sécurité. L’engin sera bientôt lancé à travers la campagne à 80 Km/h. L’animateur KAPEND s’agrippe de tous ses muscles. Les dernières plantations de Musumba sont dépassées en un clin d’œil. Sinueux, le sentier s’étire à travers la savane boisée aux herbes encore hautes en ce début de la saison sèche. L’armure de sécurité dont je me suis revêtu ne suffit pas à parer les fouets sifflants de ces herbes tenaces. Rien ne nous arrête, nous échangeons à la volée quelques paroles. Le village CHISHIDIL est dépassé, puis KATALAL. On sent l’approche d’une rivière, oui la RUSHISH est à quelques mètres. Le pont qui coupe cette rivière est formé d’un tronc d’arbre suffisamment rond pour vous faire craindre une traversée sans chute. C’est vraiment un passage dangereux. Nous descendons de la moto pour mieux prendre toutes les précautions. Il faut la pousser, elle est assez lourde, jamais je n’avais appris à faire l’équilibriste, heureusement mon compagnon, plus expérimenté, intervint efficacement et nous traversons avec succès la rivière. Enfin on approche : les champs de manioc défilent à nouveau et brusquement les toits des chaumes apparaissent, nous sommes arrivés à destination dans le village de MWANT KARL.
Déjà viennent en courant hommes et femmes devancés par les enfants, tous chantant et criant leur joie. Le refrain de bienvenue est repris par tous : « Wezaku, wezaku Mwante, wezaku Mwant, ilel unou wez kal ; wezaku Mwant amboku ! Twading aan anshon, nlel ushon wapwang kal, wezaku Mwant amboku ! » Ce qui veut dire: "Bienvenu, bienvenue, Mant (titre de respect). Nous étions comme des orphelins tristes, maintenant, plus de tristesse, bienvenue, Mwant"
Le catéchiste, l’air très important, accompagné par ses subalternes maîtres de chant, se frayent un passage parmiles hommes, les femmes et les enfants pour nous accueillir les premiers, à l’entrée du village. Le Chef, MWANT KARL CHIKOMB attendait majestueusement assis sous l’arbre devant son palais : le cortège devait être reçu d’abord chez lui où les chaises en bambous étaient d’avance rangées avec protocole : l’événement est de taille. Après mon petit mot de remerciement pour l’accueil me réservé, c’est chez le catéchiste que le cortège termine sa marche. Sans repos, je demande à mes hôtes de se préparer pour la célébration de la messe : baptêmes et mariages religieux étaient prévus.
Ainsi, dans la ferveur de cette sainte visite, les gens du village exécutent l’un après l’autre les différents moments de la journée festive :
- Messe fiévreusement chantée
- Repas pléthorique : au menu le ruk (boule de pâte à base de manioc), la viande de chasse, du poulet etc.
Le soir est déjà tombé après la longue célébration eucharistique, on dispose des bûches, l’une sur l’autre pour être allumées. Les réjouissances nocturnes allaient commencer. Ici et là on voit des mamans arracher des pailles à leurs cases, allumées ces pailles serviront de torches. Le grand moment des danses et des chants a commencé : mélodies religieuses et chants profanes s’alternent. Quelques discours improvisés par des membres du groupe: "Tukwet musangar wa kumwak Tatuk Abbé Lain..." (Nous sommes heureux d'accueillir l'Abbé Alain). Une éclatante clarté illumine les chaumières de ce beau village des « a Kaumbu, ainsi sont nommés les habitants de Karl ». On est bien content de la confiance vous témoignée, même si on va se coucher avec des oreilles qui bourdonnent. Le lendemain, une autre messe avant la séparation, une dernière exhortation puis on lève l’ancre gratifié des poulets ou même d’un mouton : la vie en mission a ses peines, mais aussi ses délices.
Pendant des années, je vivrai ces scènes d’accueil dans les villages, des villages parfois tellement minuscules qu’on dirait qu’ils ont volé à la brousse conquérante juste un petit espace pour la vie humaine.
Tout cela me revient parfois avec nostalgie : c’est gai, cette petite pluie monotone, ce soleil doré du mois de mai. C’est joyeux, ce dérangement d’enfants aux torses à peine vêtus qui emplissent votre bureau pour vous demander des images (ipich, disent-ils en ruund) et des bonbons. Souvenir aussi des voyages en véhicule Land Cruiser : quand on a échoué dans de la boue collante et après un travail harassant, lorsqu’on en sort avec des vêtements trempés et la glaise qui vous colle à la peau et qu’on peut repartir, alors on comprend mieux le prix de l’effort, et l’identité de missionnaire de brousse. Souvenir de la vie d’un peuple si démuni, si simple, si rivé à la nature qui lui fournit sa subsistance saisonnière, un peuple pourtant toujours joyeux et accueillant… Musumba avec sa terre rouge m’a formé à l’école de la vie.
En juillet 1995, je quittais la mission de Kapanga pour commencer une toute autre vie, en ville à Kolwezi.
Abbé Alain Kalenda Ket
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