CHAP 12 : LA COOPERATIVE AGRICOLE DE KAPANGA
En marge des activités purement pastorales, les Pères Salvatoriens ont créé aussi une Coopérative agricole en faveur de la population de toute la zone de Kapanga. C’est le 10 septembre 1981 qu’elle vit le jour sous l’égide des Pères Joseph CORNELISSEN et Laurent JANSSENS. La Coopérative Agricole de Kapanga (Cagrikap en sigle), était censée participer activement à l’amélioration de la vie de la population ; elle était appelée à être un modèle de développement communautaire rural.
Effectivement, la CAGRIKAP eut des débuts florissants, elle faisait le prestige de la mission catholique de Kapanga. On importa d’Europe les moyens nécessaires pour que s’épanouisse l’Entreprise : le 08 juillet arrivèrent les deux premiers véhicules, un lourd camion Magirus et une jeep Land Cruiser. Jacques Santos, le chauffeur digne des Pères Salvatoriens, qu’accompagnaient les Pères PIET et JOS POLDERS ramena de Kinshasa, sans casse et par route l’importante acquisition de la CAGRIKAP. Le personnel de direction de l’Entreprise vint aussi d’Europe. Ce premier gérant fut le suisse DIETER IMHOF. Des équipements de toutes les sortes arrivèrent, on construisit des bâtiments : des entrepôts et des silos pour la conservation des produits. Des containers sont débarqués ayant dan leurs gros ventres des outils… CAGRIKAP connut un point de départ fulgurant, son siège Social fut établi à Musumba. Son rôle essentiel était l’encadrement des agricultures de engrais leur sont fournis. Après la récolte, le grand camion passe dans les villages acheter les produits es paysans coopérateurs. La CAGRIKAP les travaille à Musumba (au moulin, aux décortiqueuses…), les conserves pour les consommer au moment opportun. Elle s’occupait non seulement de l’achat, mais aussi de la vente de ces produits agricoles travaillés (farine, arachide…). Le camion orange surgissait dans les villages comme une consolation de la population après les durs labeurs des activités champêtres. La Coopérative disposait aussi d’un magasin de vente des produits manufacturés : savons, huile, habits et même des pièces de vélos. Les coopérateurs pouvaient s’en procurer à crédit. Au bout d’un an, certains pouvaient s’acheter des objets de valeur, tel que un vélo ou se construire une maison convenable.
L’Entreprise faisait d’énormes progrès sous l’œil vigilant de DIETER qu’assistait le Zaïrois MATEP JOJO. Tout le monde était satisfait et y trouvait son compte.
L’ASSEMBLEE GENERALE
Pour mieux contrôler l’Entreprise, les agriculteurs et la direction se retrouvaient une fois l’an au sein de l’Assemblée Générale. Y prennent part, les représentants de chaque village (appelé Centre), les Gérants et le Conseil de gestion. A l’ouverture et à la clôture, on y invite aussi les notabilités de la place : Le Commissaire Sous-Régional de Kasaji, le Commissaire de Zone de Kapanga, le MWANT YAV, les responsables religieux, les autorités militaires… Et aux discours protocolaires de pleuvoir.
L’assemblée siège pendant trois jours : on présente des rapports des activités, on fait des révisions et fixations des prix des produits agricoles pour la saison prochaine on parle de la « vie de la Coopérative »
En 1985, la Coopérative était au sommet de son prestige : il y a une augmentation significative du nombre des coopérateurs et de la production. La même année, elle acquit son autonomie par rapport à la mission catholique dans son fonctionnement. Les fondateurs n’œuvraient plus sur place à Kapanga. Le Père Joseph n’y reviendra qu’en 1989.
En avril 1989, le mandat de Monsieur DIETER IMHOF touchait à sa fin. On annonce son remplacement par un couple Belge. Mais en attendant l’arrivée de ce couple, un jeune stagiaire Belge, Frère Patrick NEYS assurait l’intérim. C’est en novembre 1989 que débarquèrent les nouveaux gérants, Luc DENOYETTE et son épouse KRISTEL WITTOUCK, accompagnés par DIETER, le gérant sortant.
En ce moment, hélas !, la CAGRIKAP avait plutôt l’air essoufflé. L’héritage de LUC et KRISTEL n’était pas enviable. Un défi leur était lancé. Le camion et la jeep étaient amortis. L’économie même du pays est aux abois. La CAGRIKAP, butte à des multiples difficultés. Elle a la corde au cou. Les agriculteurs, sentant le poids de cette période de vaches maigres, pensent qu’ils sont trompés. Ils ne jouissaient plus, en effet, des avantages qui étaient les leurs jadis (Par exemple, le crédit).
A l’Assemblée Générale de 1990, le fondateur, le Père Joseph est présent pour soutenir le jeune couple aux prises avec les agriculteurs en colère. Tous les trois tâchèrent de s’expliquer sur la situation actuelle et les espérances en vue. En vain. Le langage des paysans devient insupportable, le Père Joseph est tout simplement scandalisé, il claque les portes au milieu de la séance. Il veut enterrer l’Entreprise qui, dit-il,’ n’est pas avant tout une Coopérative de Crédit’. L’Assemblée tourna au vinaigre. Tout le monde en sortit fâché. Le couple cependant veut encore être optimiste : il y a moyen de trouver une solution. La concertation eut lieu entre le Père Joseph et le couple.
Il fallait nécessairement injecter des capitaux frais dans cette boite, il fallait trouver un nouveau camion, il fallait, il fallait… La Belgique était d’accord pour voler au secours de la CAGRIKAP. Les nouveaux gérants devaient donc travailler.
Mais, le malheur dit-on, ne vient pas seul. Au niveau national, un conflit éclate entre le Gouvernement belge et le Gouvernement zaïrois : ce conflit rentre dans le cadre de l'interminable et fameux « contentieux Belgo-Zaïrois ». Le Président Mobutu entre en fureur contre les Belges et expulse illico tous les coopérants Belges du Zaïre. LUC et KRISTEL plièrent bagages le 28 juin 1990, abandonnant la moribonde CAGRIKAP à son propre sort. Une nuit noire sombra sur ses bâtiments. Aujourd’hui l’herbe a envahi la cour. C’est maintenant que Monsieur Mukaz peut hériter du titre pompeux de Gérant a.i.
La CAGRIKAP attend encore sa réanimation.
CONCLUSION
Au bout de notre travail, nous croyons, sans naïveté de notre part, que l’Evangile de Jésus-Christ est tombé dans de la bonne terre à Kapanga. Rude montée, marche cahotante, lente maturation de la vie chrétienne, nous ne pouvons pas décrire autrement l’histoire de l’Evangélisation de Kapanga. Nous avons fouiné dans un passé relativement lointain avec nos limites des moyens. Nous n’avons pas toujours obtenu les informations que nous aurions voulu avoir ; nous n’avons pas parlé de la vie de tous les prêtres qui, eux aussi, ont été à leurs manières, des inlassables apôtres des Jésus-Christ. Le sujet reste ouvert à d’autres chercheurs…
Quant aux pages qui s’arrêtent ici, elles ont voulu simplement traduire notre émerveillement face à l’œuvre accomplie par tous les missionnaires de Kapanga.
« Comme ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager de la bonne nouvelle ».
Isaïe, 52,7
SUCCESION CHRONOLOGIQUES DES MISSIONNAIRES DE KAPANGA
1. P. EVRARD LAUREYS1929-1938
2. P. AMANS SMEETS 1929-1938
3. P. ADHEMAR DEPAW (KAWEL) 1934-1941
4. P . PASCAL CEUTERICK 1937-1945
5. P .TITUS VAN RUYTEGEN 19368-1941
6. P. TIBALD PETERS 1940
7. P. GODARD LEMMENS 1940- ?
8. P . SIDON VAN DEN BORCHT 1940-1955
9. P. MARCELVAN INN ( SAMUSENG ) 1943-1955
10. P. CONSTANT JACOB 1946-1952
11. P. WULFRAM GOAVAERTS 1949-1954
12. P. JEAN BOURGONYON 1955.
13. Fr RE?I DE BOEVER
14. Fr VERCOUTEREN
15. Fr ARNOLD KNAAPKENS
16. Fr GODFRIEND LOUWERS
17. P. LEONARD VANERP
18. P. JEROME GUBBELS ( KABWABU) 1955
19. P. JOSEPH Hermann 1955
20. P. ALBERT IHLE 1957
21. P. ANSELME 1957
22. P. LOUIS HEITFELD (MADJAKU) 1958
23. P. ONESIME EGGERT 1959
24. P. FRANS CARIS 1959
25. P. LAURENT THEODORE JANSENS 1960
26. P. MARTIN KOOPMAN (SAMBAZ) 1961- A NOS
JOURS
27P. ARNOLD STEVENS 1961 – A NOS JOURS
27. P. GODEFROID GOVAERS 1961-1991
28. P. JOSEPH CORNELISSEN 1964- A NOS JOURS
29. P. HUBERT GUSEN 1964
30. P. PIET MAURICE STEVENS 1965
31. P. WILLY SMEET 1965
32. P. ROMAIN MINSEN 1972
33. P. JACQUES HENKENS 1974-1989
34. P. LAN SZCPILKA 1980- Q NOS JOURS
35. ABBE MUZUKA MAVUNGA GABRIEL 1983-1985
36. ABBE KALENDA KET ALAIN 1989- A NOS JOURS
Par Abbé Alain Kalenda Ket
lundi 25 juin 2012
Histoire de la mission Catholique de Kapanga et les abbés
CHAP 10 LES ORDINATIONS SACERDOTALES DE KAPANGA
Une Eglise n’est pas encore enracinée dans le terroir évangélisé si elle se refusait à y susciter des vocations sacerdotales locales. Cela, en effet, équivaudrait à dire aux fils du terroir, : « La chose ne vous concerne pas ».
C’est ainsi que les Franciscains conscients de ce fait ont accepté d’envoyer des jeunes lundas en formation au Séminaire pour le sacerdoce. Dès le début des années 1960, on pouvait déjà gouter aux délices de cet investissement :
- Le 08 mai 1960 : ordination de l’abbé Michel NAWEJ
- Le 02 août 1964 : ordination de l’abbé Christophe REMB
- Le 08 août 1965 : ordination de l’abbé Paul MBANG
Nous avons rencontré ce dernier, et il nous fait le récit de du grand événement de son ordination:
En 1965, Kapanga accueillait dans la liesse et les chants un de ses fils, l’abbé Paul Mbang. Il venait d’être ordonné prêtre à Kolwezi, le 08 août de cette même année devant le Lycée Notre Dame des Lumières. Nous n’allons pas vous livrer ici la description de l’ordination proprement dite, qui, comme le dit si bien le concerné, se déroula sur une ‘terre étrangère’. La famille qui y était représentée attendait avec une patience mesurée le retour au pays natal à Kapanga et plus précisément dans le village de CHIPAZ. C’est là, en effet que l’événement se revêtit de toute sa magnificence. Jamais foule n’avait été aussi nombreuse que ce jour-là, dans ce village de l’autre rive de la Lulua . Le nouvel ordonné y entra en prince porté sur le traditionnel ‘chipoy’ au milieu des danses et des acclamations (Tulabul). Il était vraiment heureux et consolé d’appartenir à un clan enraciné dans la digne culture lunda. L’abbé Paul nous rapporte qu’il lut dans son village sa messe des prémices devant une assistance incroyable : aussi inattendue que douteuse quant à ses sentiments véritablement religieux. Ce jour-là, unique depuis la création du monde, il n’y avait plus, à Chipaz, de distinction entre familles catholiques et familles méthodistes. Les animistes et les païens de toutes sortes avaient oublié leurs convictions et étaient emportés dans le tourbillon d’une joie sainte et catholique. Le plus important était d’honorer le village par ce fils exceptionnel. Après la messe, les débordements se poursuivirent dans les danses traditionnelles de Dikand, Kalal-a-Kabooz, Moy, Mandjos etc.
Plusieurs discours furent prononcés en commençant déjà par Kolwezi, puis à Chipaz et à Musumba.
Les années 1960 et 1970 s’écoulèrent sans qu’il y ait des jeunes gens de Kapanga qui entrèrent dans les ordres. La nouvelle vague des ordinations ne commencera qu’en 1986, une vingtaine d’années plus tard. Cette fois-là, c’est le village de Mulambo qui fut honoré avec l’ordination de son fils KABEY MUCHAIL EMMANUEL. Comme son lointain devancier, l’abbé Emmanuel fut ordonné aussi devant le Lycée Notre Dame des Lumières à Kolwezi, c’est quelques jours plus tard qu’il se rendra à Kapanga pour célébrer ses prémices. Il fallait bien qu’on ordonnât un jour sur le sol même de Kapanga un fils du pays.
Cela arriva en 1987 : trois prêtres et un diacre y seront ordonnés par Monseigneur Songasonga : d’abord l’abbé Hubert Mutombu à Kalamba, le 19 septembre 1987, puis les abbés Kapend Museng Sabin, Kapend Sabul Albert et Muchak-a-Kasang Emery (ce dernier comme diacre) à Musumba, le 26 septembre 1987. Les Kapend étaient vraiment bienheureux ce jour-là, et l’on chanta pour eux cet hymne aux Kapend : « Chakin a Kapend amboku, tusangar nen, ushon wapwang kal » La joie et le chikur coulèrent à flot…
En 1989, on consacra de nouveau la formule des ordinations à Kolwezi. On ordonna les abbés Mushid Ngambu Jean-Pascal et Mutombu Chey Christophe à Mariapolis-Kolwezi. En septembre de la même année, ils se rendirent dans leurs villages respectifs célébrer les prémices, à Museng pour l’abbé Jean-Pascal et à Kambamb pour l’abbé Christophe.
L’année suivante en 1990, l’abbé Kadjat François ordonné à Kolwezi, suivit le même cheminement en venant sanctifier son village de Ntembo près de la rivière RIZ.
Partout où l’on fêtait ces événements, le nouvel ordonné était comme intronisé chef spirituel de son village : et l’on jubilait toujours avec la même piété ambiguë où le folklore prenait très vite le dessus : la messe, chaleureusement chantée, est rythmée par des coups de fusil (qui arrachaient souvent des tressaillements à Mgr Songasonga). A ces salves répondent des cris aigus des mamans toujours transportées dans une euphorie insatiable. La danse est présente d’un bout à l’autre de la messe. C’est la fête…
CHAP 11 : LA PERCEE DES ABBES A KAPANGA
Depuis sa fondation en 1929, la mission de Kapanga ne fut évangélisée que par des missionnaires des Congrégations Franciscaine et Salvatorienne. Les prêtres diocésains étaient pratiquement inconnus. Bien sûr, nous avons signalé, au passage, le travail missionnaire accompli officieusement dans cette contrée par l’abbé Mukendi David au compte de la province du Kasaï. Cette présence fut contestée par la population lunda. Il fallut attendre plus de quarante ans depuis la fondation pour que le Diocèse puisse enfin envoyer le premier prêtre autochtone œuvrer à Kapanga.
1.1.1. L’ABBE MUZUKA MAVUNGA GABRIEL
Le 1er octobre 1983, Mgr Songasonga Evêque de Kolwezi, daigna envoyer à Kapanga le premier prêtre autochtone travailler dans cette mission. Il habitera un moment à la mission Ntita, mais exercera son ministère dans la Paroisse Sainte Famille à Kapanga - village. Il finira par y demeurer. Mais son séjour fut vraiment bref : deux années plus tard, il quittait ce sol pour commencer une nouvelle Communauté des abbés à Kasaji en 1985.
1.1.2. L’ABBE ALAIN KALENDA KET
112.1 « Après la vie de l’école, c’est l’école de la vie. »
En 1989, j’avais un an de sacerdoce quand Monseigneur Songasonga me détacha de la mission de Kafakumba pour me transférer à Kapanga à double titre de vicaire paroissial de Ntita et vicaire paroissial de Musumba. Le ministère d’un abbé zaïrois était une nouveauté pour ces deux paroisses. C’était ma percée dans le bref salvatorien.
J’y débarquai le 06 septembre 1989, accompagné par l’abbé Gabriel Muzuka. La mission était déserte : tous les missionnaires salvadoriens avec qui je devais désormais vivre étaient en vacances, seul un jeune stagiaire laïc belge, Patrick Neys expédiait les affaires courantes des finances ou d’ordre social. Pas de messes !
Je commençais donc ma pastorale en apprenant tout de moi-même, navigant entre Ntita et Musumba jusqu’en novembre quand arrivèrent mes ainés confrères salvatoriens Père Joseph CORNELISSEN et Père Paul WEY. Père Joseph était mon Curé qui devait m'aider dans mon ministère à Kapanga: il me chargea de m’occuper plus de la Paroisse de Musumba, sans négliger pour autant les activités à Ntita.
Les festivités de mon accueil furent organisées séparément dans les deux paroisses. Et ces fêtes de bienvenue se multiplièrent selon les différents groupes paroissiaux : d’abord celle du conseil Paroissial et puis des légionnaires, des Kiros, des acolytes, des enseignants, des militaires dans leurcamp, etc.
Il fallait commencer enfin le travail. Au menu du quotidien : je m’acclimatais par des rencontres des personnes, les visites des CEV, je tranchais des différends et puis commencèrent les activités de mes dix villages attachés à la desserte de la Paroisse de Notre Dame de Fatima Musumba. Mensuellement je présidais le conseil Paroissial…. Je m’organisais progressivement. Mais la Paroisse était encore sous le choc de la disparition de certain animateur pastoral Mases Marcel, animateur très célèbre, mort le 19 mai 1989, quelques mois avant mon arrivée. Cela amena quelques perturbations dans le comportement chrétien de beaucoup : on était, en effet, préoccupé plus par la recherche du sorcier qui aurait emporté Mases. Il était urgent de se pencher sur ce problème et de créer un nouvel esprit au sein de la communauté paroissiale. Avec l’aide de Dieu, nous y parvînmes, on oublia peu à eu les dissensions qui déchiraient la paroisse à cause de la mort de Mases, et on devait commencer une nouvelle histoire, dans une nouvelle dynamique.
Quelques années passèrent pendant lesquelles je me suis impliqué à fond dans mon travail pastoral : l’intégration était déjà chose faite. Au conseil paroissial, nous décidâmes de réaliser certains projets : cuire un four à briques pour la construction prochaine d’une deuxième église dans la cité de Musumba, créer un domaine marial dont l’inauguration eut lieu déjà, même sans construction d’édifices, le dimanche 27 mai 1990 lors d’un pèlerinage et d’une messe célébrée sur les lieux situés au bout de la cité Kambove de Musumba sur la route de Nfachingand. Nous cultivâmes un champ paroissial….. Les messes dominicales étaient des véritables fêtes ou les fidèles louaient chaudement le Seigneur sous le rythme entrainant des chants lunda des chorales KUSENG et CHISAMBU. Les visites des villages environnants faisaient aussi ma joie : KAZOL, KANAMPUMB, KATENG ; CHISHIDIL, KATALAL, KARL, MWANT ILAND ; partout j’étais accueilli avec la même émotion religieuse, avec le même délire et la même gaieté…..
En août 1992, Monseigneur l’Evêque, remarqua mon travail accompli dans la Capitale de l'Empire Lunda, il me confirma Curé de Notre Dame de Fatima – Musumba, par une lettre officielle. En pratique j’en faisais déjà office. Mais, la politique allait bientôt se mêler à la marche de l'Eglise. Le Zaïre venait d’entamer son long processus de démocratisation, les partis politiques pullulaient partout.
Au Katanga l’UFERI faisait figure de grand et unique parti des Katangais. Un conflit assez sérieux advint, lorsque dans un sermon dominical (le 29 mars 1992), j’ai dénoncé le comportement odieux et brutal de certains partisans de l’UFERI qui rançonnaient leur propre population. Le président territorial de ce parti ne toléra pas « l’immixtion des calotins dans la politique ». Les dirigeants de l'UFERI Musumbaentamérent une campagne d'intoxication de la population contre le Curé que j'étais. Ils créèrent un climat malsain dans le village : on ne me laissa désormais plus tranquille. Les instances officielles de l'Etat affectèrent à mon domicile des miltaires pour ma garde de nuit. Pendant cinq mois je vécus sous cette pression psychologique des miltants de l'UFERI. Ma nomination de Curé en août me réconforta un peu mais, pas pour longtemps. En effet, le 26 septembre 1992, je quittais Kapanga avec ma Land Rover pour m'exiler à Kolwezi.
J'y fus reçu par Monseigneur Songasonga, mon Evêque. Il me demanda de demeurer à Kolwezi le temps qu'il fallait, mais je devais retourner à Musumba dès que possible. Mon exil durera finalement cinq mois.
A Musumba, c’est la consternation de beaucoup de fidèles catholiques restés sans pasteur. Les jeunes enfants continuèrent à chanter dans la rue et dans leurs jeux ce refrain de triomphe qu’ils avaient composé auparavant lors d’une rencontre de football où notre équipe sortit victorieuse : « Abbé walond, Abbé walond yangany kwen ukawinany, kwikil chom chikwezakwo ». Ce qui veut dire : « l’Abbé nous a dit, allez gagner, rien ne vous arrivera ». Un chant symbolique certainement : oui ! Le Christ lui-même vaincra, l’œuvre commencée par le Père Evrard à Kapanga en 1929 se poursuivra...
De Kolwezi je me rendis à Lubumbashi où je fus reçu par le puissant Gouverneur du Katanga, Monsieur Kyungu wa Kumwanza, à son domicile de l'Avenue Kipopo. Il était l'un des fondateurs du parti de l'UFERI. Il minimisa l’affaire, et me manifesta sa sympathie et son désir de me voir continuer à œuvrer à Musumba : "Tu es fils Katangais, me dit-il". J'étais conduit chez le Gouverneur par Monsieur Muyej Mangez, un ami et membre influent du parti.
Le 15 février 1993, je regagnais Musumba. J'y fus accueilli triomphalement pour commencer de nouveaux combats pour le Seigneur Jésus.
1.1.2.2. SOUVENIR DE VIE EN MISSION
A certaines heures de repos et de souvenance, l’esprit vagabonde ça et là, il s’accroche à la mémoire d’un voyage ou d’autres événements. C’est un flot des souvenirs vivants dont il me plait de conter ici quelques-uns
La mission c’est la joie d’être utile à une multitude des personnes connues ou non ; la vie est rythmée par des faits, importants ou anodins.
Tôt le matin, la journée commence par l’offrande de la messe : la cloche sonnée par le sacristain mi-sommeillant, retentit dans le silence matinal en même temps que le crépitement du tam-tam (mond, en lunda ) des voisins méthodistes. La nuit s’achève, le crépuscule matinal se désagrège progressivement. Les silhouettes des cases de la capitale de l’Empire se dessinent. Des voix annoncent que la vie ressuscite. Sur la route de l’église, des fidèles s’empressent à rejoindre la paroisse par groupe de 4 à 5 personnes. La messe commence à 6 heures chantée par quelques pieux et persévérants disciples. Immédiatement après la messe, on n’attend pas un rendez-vous, vous êtes littéralement accaparé : l’un vient s’enquérir de votre santé, l’autre demande qu’on bénisse son chapelet, un troisième est estropié, il a besoin qu’on l’assiste. C’est alors seulement qu’on peut se retirer pour la récitation du bréviaire et commencer les activités ordinaires de la mission. Le soleil point déjà là haut. Le Curé est au centre du village :
"Monsieur l’abbé, les fidèles vous attendent au four des briques qu’on construit à la cité". – Bon j’y viens bientôt !
Et dans l’entre-fait, on frappe à votre bureau :
"Mwant abbé, voici une palabre sur la sorcellerie…. Suit un long récit passionnant des histoires qu’on serait tenté de juger de farfelues". Mais il fallait accorder de l'importance à la personne tourmentée.
"Mwant abbé, voici un message qui vient du palais de Mwant Yav, le Grand Chef voudrait que…."
"Mwant abbé, les militaires viennent d’arrêter arbitrairement un de nos fervents chrétiens, il faut vite intervenir, il est maltraité….."
Mwant abbé, un chrétien va bientôt rendre l’âme, il demande l’onction".
Et l’on applique le principe qui nous demande d’ « avoir dans son sac une chanson pour chaque peine. Chaque individu est toujours nouveau et son problème est toujours le plus important. L’exercice du sacerdoce est de s’exercer à se composer un visage toujours affable prêt à écouter, même quand vous êtes contrarié par des problèmes qui vous sont propres. Parfois, on est quand même exténué, l’énervement prend le dessus. Parfois aussi les « ayant droit » à la charité se font légion. Et on n’est pas riche pour tant distribuer….On se lasse. De fil en aiguille, on termine une journée. On rentre dans la cour interne prendre son repas. La nuit tombe. L’électricité est, bien sûr, inexistante.
– "Monsieur l’abbé, on n’a plus de bougie pour l’éclairage au réfectoire et au salon, constate Papa Fidel, le cuisinier". Au ciel, le premier quartier de la lune monte ses reflets qui éclairent à peine. – "Tant pis, Papa Fidel, je resterai dans la cour, au clair de la lune, sers-moi le repas du soir ici…"
« Quand viennent les soucis, ils ne viennent pas simples espions mais bataillons entiers ». (SHAKESPEARE)
Ce vendredi 26 février 1993, est une journée de malheur. Une tornade s’abat sur le village. Les maisonnettes se devinent à peine à travers la masse pluvieuse. Un vent terrible accompagne cette tempête. Le vacarme des tôles devient de plus en plus assourdissant. Dans la désespérance étreignante de cette fin d’après-midi, je contemple à travers les voiles des larges fenêtres de mon bureau les dégâts : des maisons qui croulent, des arbres qui craquent, une foudre qui éclate. L’angoisse me saisit. Tenace et inlassable, la pluie continue avec la même force destructrice. Elle finit par soulever une partie du toit de mon église, Notre Dame de Fatima : Tôles et plafond métalliques s’envolent dispersés jusque devant mon bureau. L’antenne de ma petite phonie est terrassée. J’assiste à ce tableau macabre, le cœur serré. A peine revenu d’exil ! J’avas dix jours depuis mon retour à Musumba. Et le carême venait de commencer. Progressivement, le ciel imposa son silence. Il est 18 heures. J’avais bien peur ! Mais dehors l’on entendait déjà les jacasseries de la foule des badauds et les criailleries des enfants contemplant le majestueux édifice, dépouillé. Seigneur ! Un événement de plus dans ma petite vie de pauvre jeune Curé ! Il fallait tenir tête au découragement. Abbé Alain, curé de brousse sur qui tous les yeux des fidèles étaient braqués, rôle délicat et pénible, j’acceptais de le jouer jusqu’au bout. Nous devions relever le défi nous-mêmes, sans financement de l’étranger: j’encourageai en ces termes les fidèles. Quelques mois plus tard, avec, quand même, le concours de la mission Ntita où habitaient mes confrères et nantis Pères Salvatoriens et même avec le concours de la mission méthodiste (qui nous prêta un poste à souder), nous parvînmes à remettre tout en place. Et la vie continuait… avec de nouveaux appels à l’initiative, à l’ingéniosité et surtout au cran.
EN TOURNEE…
La vie en mission, c’est aussi les visites des communautés chrétiennes de la brousse intérieure. Les villages dont j’ai parlé ci-haut attendaient toujours ma prochaine arrivée. Aujourd’hui, nous allons vers le village de Mwant KARL, à une vingtaine des kilomètres de Musumba. L’animateur pastoral, KAPEND CHITAV Boniface, qui m’accompagnait dans ces tournées est arrivé tôt à la Paroisse d’où nous devions partir. Ma moto Honda était prête. Un dernier coup d’œil avant le voyage : "rien n’est-il oublié ? Calice, ciboire, hostie et vin, missels, les huiles saintes…?" Mon compagnon acquiesce. Tout y est vraiment. Plus qu’à fermer mon sac blanc où tout cela est fourré. Bientôt l’animateur l’accrochera sur son dos. Un dernier adieu à papa Fidel, le cuisinier. J’empoigne les guidons de ma Honda après avoir attaché le casque de sécurité. L’engin sera bientôt lancé à travers la campagne à 80 Km/h. L’animateur KAPEND s’agrippe de tous ses muscles. Les dernières plantations de Musumba sont dépassées en un clin d’œil. Sinueux, le sentier s’étire à travers la savane boisée aux herbes encore hautes en ce début de la saison sèche. L’armure de sécurité dont je me suis revêtu ne suffit pas à parer les fouets sifflants de ces herbes tenaces. Rien ne nous arrête, nous échangeons à la volée quelques paroles. Le village CHISHIDIL est dépassé, puis KATALAL. On sent l’approche d’une rivière, oui la RUSHISH est à quelques mètres. Le pont qui coupe cette rivière est formé d’un tronc d’arbre suffisamment rond pour vous faire craindre une traversée sans chute. C’est vraiment un passage dangereux. Nous descendons de la moto pour mieux prendre toutes les précautions. Il faut la pousser, elle est assez lourde, jamais je n’avais appris à faire l’équilibriste, heureusement mon compagnon, plus expérimenté, intervint efficacement et nous traversons avec succès la rivière. Enfin on approche : les champs de manioc défilent à nouveau et brusquement les toits des chaumes apparaissent, nous sommes arrivés à destination dans le village de MWANT KARL.
Déjà viennent en courant hommes et femmes devancés par les enfants, tous chantant et criant leur joie. Le refrain de bienvenue est repris par tous : « Wezaku, wezaku Mwante, wezaku Mwant, ilel unou wez kal ; wezaku Mwant amboku ! Twading aan anshon, nlel ushon wapwang kal, wezaku Mwant amboku ! » Ce qui veut dire: "Bienvenu, bienvenue, Mant (titre de respect). Nous étions comme des orphelins tristes, maintenant, plus de tristesse, bienvenue, Mwant"
Le catéchiste, l’air très important, accompagné par ses subalternes maîtres de chant, se frayent un passage parmiles hommes, les femmes et les enfants pour nous accueillir les premiers, à l’entrée du village. Le Chef, MWANT KARL CHIKOMB attendait majestueusement assis sous l’arbre devant son palais : le cortège devait être reçu d’abord chez lui où les chaises en bambous étaient d’avance rangées avec protocole : l’événement est de taille. Après mon petit mot de remerciement pour l’accueil me réservé, c’est chez le catéchiste que le cortège termine sa marche. Sans repos, je demande à mes hôtes de se préparer pour la célébration de la messe : baptêmes et mariages religieux étaient prévus.
Ainsi, dans la ferveur de cette sainte visite, les gens du village exécutent l’un après l’autre les différents moments de la journée festive :
- Messe fiévreusement chantée
- Repas pléthorique : au menu le ruk (boule de pâte à base de manioc), la viande de chasse, du poulet etc.
Le soir est déjà tombé après la longue célébration eucharistique, on dispose des bûches, l’une sur l’autre pour être allumées. Les réjouissances nocturnes allaient commencer. Ici et là on voit des mamans arracher des pailles à leurs cases, allumées ces pailles serviront de torches. Le grand moment des danses et des chants a commencé : mélodies religieuses et chants profanes s’alternent. Quelques discours improvisés par des membres du groupe: "Tukwet musangar wa kumwak Tatuk Abbé Lain..." (Nous sommes heureux d'accueillir l'Abbé Alain). Une éclatante clarté illumine les chaumières de ce beau village des « a Kaumbu, ainsi sont nommés les habitants de Karl ». On est bien content de la confiance vous témoignée, même si on va se coucher avec des oreilles qui bourdonnent. Le lendemain, une autre messe avant la séparation, une dernière exhortation puis on lève l’ancre gratifié des poulets ou même d’un mouton : la vie en mission a ses peines, mais aussi ses délices.
Pendant des années, je vivrai ces scènes d’accueil dans les villages, des villages parfois tellement minuscules qu’on dirait qu’ils ont volé à la brousse conquérante juste un petit espace pour la vie humaine.
Tout cela me revient parfois avec nostalgie : c’est gai, cette petite pluie monotone, ce soleil doré du mois de mai. C’est joyeux, ce dérangement d’enfants aux torses à peine vêtus qui emplissent votre bureau pour vous demander des images (ipich, disent-ils en ruund) et des bonbons. Souvenir aussi des voyages en véhicule Land Cruiser : quand on a échoué dans de la boue collante et après un travail harassant, lorsqu’on en sort avec des vêtements trempés et la glaise qui vous colle à la peau et qu’on peut repartir, alors on comprend mieux le prix de l’effort, et l’identité de missionnaire de brousse. Souvenir de la vie d’un peuple si démuni, si simple, si rivé à la nature qui lui fournit sa subsistance saisonnière, un peuple pourtant toujours joyeux et accueillant… Musumba avec sa terre rouge m’a formé à l’école de la vie.
En juillet 1995, je quittais la mission de Kapanga pour commencer une toute autre vie, en ville à Kolwezi.
Abbé Alain Kalenda Ket
Une Eglise n’est pas encore enracinée dans le terroir évangélisé si elle se refusait à y susciter des vocations sacerdotales locales. Cela, en effet, équivaudrait à dire aux fils du terroir, : « La chose ne vous concerne pas ».
C’est ainsi que les Franciscains conscients de ce fait ont accepté d’envoyer des jeunes lundas en formation au Séminaire pour le sacerdoce. Dès le début des années 1960, on pouvait déjà gouter aux délices de cet investissement :
- Le 08 mai 1960 : ordination de l’abbé Michel NAWEJ
- Le 02 août 1964 : ordination de l’abbé Christophe REMB
- Le 08 août 1965 : ordination de l’abbé Paul MBANG
Nous avons rencontré ce dernier, et il nous fait le récit de du grand événement de son ordination:
En 1965, Kapanga accueillait dans la liesse et les chants un de ses fils, l’abbé Paul Mbang. Il venait d’être ordonné prêtre à Kolwezi, le 08 août de cette même année devant le Lycée Notre Dame des Lumières. Nous n’allons pas vous livrer ici la description de l’ordination proprement dite, qui, comme le dit si bien le concerné, se déroula sur une ‘terre étrangère’. La famille qui y était représentée attendait avec une patience mesurée le retour au pays natal à Kapanga et plus précisément dans le village de CHIPAZ. C’est là, en effet que l’événement se revêtit de toute sa magnificence. Jamais foule n’avait été aussi nombreuse que ce jour-là, dans ce village de l’autre rive de la Lulua . Le nouvel ordonné y entra en prince porté sur le traditionnel ‘chipoy’ au milieu des danses et des acclamations (Tulabul). Il était vraiment heureux et consolé d’appartenir à un clan enraciné dans la digne culture lunda. L’abbé Paul nous rapporte qu’il lut dans son village sa messe des prémices devant une assistance incroyable : aussi inattendue que douteuse quant à ses sentiments véritablement religieux. Ce jour-là, unique depuis la création du monde, il n’y avait plus, à Chipaz, de distinction entre familles catholiques et familles méthodistes. Les animistes et les païens de toutes sortes avaient oublié leurs convictions et étaient emportés dans le tourbillon d’une joie sainte et catholique. Le plus important était d’honorer le village par ce fils exceptionnel. Après la messe, les débordements se poursuivirent dans les danses traditionnelles de Dikand, Kalal-a-Kabooz, Moy, Mandjos etc.
Plusieurs discours furent prononcés en commençant déjà par Kolwezi, puis à Chipaz et à Musumba.
Les années 1960 et 1970 s’écoulèrent sans qu’il y ait des jeunes gens de Kapanga qui entrèrent dans les ordres. La nouvelle vague des ordinations ne commencera qu’en 1986, une vingtaine d’années plus tard. Cette fois-là, c’est le village de Mulambo qui fut honoré avec l’ordination de son fils KABEY MUCHAIL EMMANUEL. Comme son lointain devancier, l’abbé Emmanuel fut ordonné aussi devant le Lycée Notre Dame des Lumières à Kolwezi, c’est quelques jours plus tard qu’il se rendra à Kapanga pour célébrer ses prémices. Il fallait bien qu’on ordonnât un jour sur le sol même de Kapanga un fils du pays.
Cela arriva en 1987 : trois prêtres et un diacre y seront ordonnés par Monseigneur Songasonga : d’abord l’abbé Hubert Mutombu à Kalamba, le 19 septembre 1987, puis les abbés Kapend Museng Sabin, Kapend Sabul Albert et Muchak-a-Kasang Emery (ce dernier comme diacre) à Musumba, le 26 septembre 1987. Les Kapend étaient vraiment bienheureux ce jour-là, et l’on chanta pour eux cet hymne aux Kapend : « Chakin a Kapend amboku, tusangar nen, ushon wapwang kal » La joie et le chikur coulèrent à flot…
En 1989, on consacra de nouveau la formule des ordinations à Kolwezi. On ordonna les abbés Mushid Ngambu Jean-Pascal et Mutombu Chey Christophe à Mariapolis-Kolwezi. En septembre de la même année, ils se rendirent dans leurs villages respectifs célébrer les prémices, à Museng pour l’abbé Jean-Pascal et à Kambamb pour l’abbé Christophe.
L’année suivante en 1990, l’abbé Kadjat François ordonné à Kolwezi, suivit le même cheminement en venant sanctifier son village de Ntembo près de la rivière RIZ.
Partout où l’on fêtait ces événements, le nouvel ordonné était comme intronisé chef spirituel de son village : et l’on jubilait toujours avec la même piété ambiguë où le folklore prenait très vite le dessus : la messe, chaleureusement chantée, est rythmée par des coups de fusil (qui arrachaient souvent des tressaillements à Mgr Songasonga). A ces salves répondent des cris aigus des mamans toujours transportées dans une euphorie insatiable. La danse est présente d’un bout à l’autre de la messe. C’est la fête…
CHAP 11 : LA PERCEE DES ABBES A KAPANGA
Depuis sa fondation en 1929, la mission de Kapanga ne fut évangélisée que par des missionnaires des Congrégations Franciscaine et Salvatorienne. Les prêtres diocésains étaient pratiquement inconnus. Bien sûr, nous avons signalé, au passage, le travail missionnaire accompli officieusement dans cette contrée par l’abbé Mukendi David au compte de la province du Kasaï. Cette présence fut contestée par la population lunda. Il fallut attendre plus de quarante ans depuis la fondation pour que le Diocèse puisse enfin envoyer le premier prêtre autochtone œuvrer à Kapanga.
1.1.1. L’ABBE MUZUKA MAVUNGA GABRIEL
Le 1er octobre 1983, Mgr Songasonga Evêque de Kolwezi, daigna envoyer à Kapanga le premier prêtre autochtone travailler dans cette mission. Il habitera un moment à la mission Ntita, mais exercera son ministère dans la Paroisse Sainte Famille à Kapanga - village. Il finira par y demeurer. Mais son séjour fut vraiment bref : deux années plus tard, il quittait ce sol pour commencer une nouvelle Communauté des abbés à Kasaji en 1985.
1.1.2. L’ABBE ALAIN KALENDA KET
112.1 « Après la vie de l’école, c’est l’école de la vie. »
En 1989, j’avais un an de sacerdoce quand Monseigneur Songasonga me détacha de la mission de Kafakumba pour me transférer à Kapanga à double titre de vicaire paroissial de Ntita et vicaire paroissial de Musumba. Le ministère d’un abbé zaïrois était une nouveauté pour ces deux paroisses. C’était ma percée dans le bref salvatorien.
J’y débarquai le 06 septembre 1989, accompagné par l’abbé Gabriel Muzuka. La mission était déserte : tous les missionnaires salvadoriens avec qui je devais désormais vivre étaient en vacances, seul un jeune stagiaire laïc belge, Patrick Neys expédiait les affaires courantes des finances ou d’ordre social. Pas de messes !
Je commençais donc ma pastorale en apprenant tout de moi-même, navigant entre Ntita et Musumba jusqu’en novembre quand arrivèrent mes ainés confrères salvatoriens Père Joseph CORNELISSEN et Père Paul WEY. Père Joseph était mon Curé qui devait m'aider dans mon ministère à Kapanga: il me chargea de m’occuper plus de la Paroisse de Musumba, sans négliger pour autant les activités à Ntita.
Les festivités de mon accueil furent organisées séparément dans les deux paroisses. Et ces fêtes de bienvenue se multiplièrent selon les différents groupes paroissiaux : d’abord celle du conseil Paroissial et puis des légionnaires, des Kiros, des acolytes, des enseignants, des militaires dans leurcamp, etc.
Il fallait commencer enfin le travail. Au menu du quotidien : je m’acclimatais par des rencontres des personnes, les visites des CEV, je tranchais des différends et puis commencèrent les activités de mes dix villages attachés à la desserte de la Paroisse de Notre Dame de Fatima Musumba. Mensuellement je présidais le conseil Paroissial…. Je m’organisais progressivement. Mais la Paroisse était encore sous le choc de la disparition de certain animateur pastoral Mases Marcel, animateur très célèbre, mort le 19 mai 1989, quelques mois avant mon arrivée. Cela amena quelques perturbations dans le comportement chrétien de beaucoup : on était, en effet, préoccupé plus par la recherche du sorcier qui aurait emporté Mases. Il était urgent de se pencher sur ce problème et de créer un nouvel esprit au sein de la communauté paroissiale. Avec l’aide de Dieu, nous y parvînmes, on oublia peu à eu les dissensions qui déchiraient la paroisse à cause de la mort de Mases, et on devait commencer une nouvelle histoire, dans une nouvelle dynamique.
Quelques années passèrent pendant lesquelles je me suis impliqué à fond dans mon travail pastoral : l’intégration était déjà chose faite. Au conseil paroissial, nous décidâmes de réaliser certains projets : cuire un four à briques pour la construction prochaine d’une deuxième église dans la cité de Musumba, créer un domaine marial dont l’inauguration eut lieu déjà, même sans construction d’édifices, le dimanche 27 mai 1990 lors d’un pèlerinage et d’une messe célébrée sur les lieux situés au bout de la cité Kambove de Musumba sur la route de Nfachingand. Nous cultivâmes un champ paroissial….. Les messes dominicales étaient des véritables fêtes ou les fidèles louaient chaudement le Seigneur sous le rythme entrainant des chants lunda des chorales KUSENG et CHISAMBU. Les visites des villages environnants faisaient aussi ma joie : KAZOL, KANAMPUMB, KATENG ; CHISHIDIL, KATALAL, KARL, MWANT ILAND ; partout j’étais accueilli avec la même émotion religieuse, avec le même délire et la même gaieté…..
En août 1992, Monseigneur l’Evêque, remarqua mon travail accompli dans la Capitale de l'Empire Lunda, il me confirma Curé de Notre Dame de Fatima – Musumba, par une lettre officielle. En pratique j’en faisais déjà office. Mais, la politique allait bientôt se mêler à la marche de l'Eglise. Le Zaïre venait d’entamer son long processus de démocratisation, les partis politiques pullulaient partout.
Au Katanga l’UFERI faisait figure de grand et unique parti des Katangais. Un conflit assez sérieux advint, lorsque dans un sermon dominical (le 29 mars 1992), j’ai dénoncé le comportement odieux et brutal de certains partisans de l’UFERI qui rançonnaient leur propre population. Le président territorial de ce parti ne toléra pas « l’immixtion des calotins dans la politique ». Les dirigeants de l'UFERI Musumbaentamérent une campagne d'intoxication de la population contre le Curé que j'étais. Ils créèrent un climat malsain dans le village : on ne me laissa désormais plus tranquille. Les instances officielles de l'Etat affectèrent à mon domicile des miltaires pour ma garde de nuit. Pendant cinq mois je vécus sous cette pression psychologique des miltants de l'UFERI. Ma nomination de Curé en août me réconforta un peu mais, pas pour longtemps. En effet, le 26 septembre 1992, je quittais Kapanga avec ma Land Rover pour m'exiler à Kolwezi.
J'y fus reçu par Monseigneur Songasonga, mon Evêque. Il me demanda de demeurer à Kolwezi le temps qu'il fallait, mais je devais retourner à Musumba dès que possible. Mon exil durera finalement cinq mois.
A Musumba, c’est la consternation de beaucoup de fidèles catholiques restés sans pasteur. Les jeunes enfants continuèrent à chanter dans la rue et dans leurs jeux ce refrain de triomphe qu’ils avaient composé auparavant lors d’une rencontre de football où notre équipe sortit victorieuse : « Abbé walond, Abbé walond yangany kwen ukawinany, kwikil chom chikwezakwo ». Ce qui veut dire : « l’Abbé nous a dit, allez gagner, rien ne vous arrivera ». Un chant symbolique certainement : oui ! Le Christ lui-même vaincra, l’œuvre commencée par le Père Evrard à Kapanga en 1929 se poursuivra...
De Kolwezi je me rendis à Lubumbashi où je fus reçu par le puissant Gouverneur du Katanga, Monsieur Kyungu wa Kumwanza, à son domicile de l'Avenue Kipopo. Il était l'un des fondateurs du parti de l'UFERI. Il minimisa l’affaire, et me manifesta sa sympathie et son désir de me voir continuer à œuvrer à Musumba : "Tu es fils Katangais, me dit-il". J'étais conduit chez le Gouverneur par Monsieur Muyej Mangez, un ami et membre influent du parti.
Le 15 février 1993, je regagnais Musumba. J'y fus accueilli triomphalement pour commencer de nouveaux combats pour le Seigneur Jésus.
1.1.2.2. SOUVENIR DE VIE EN MISSION
A certaines heures de repos et de souvenance, l’esprit vagabonde ça et là, il s’accroche à la mémoire d’un voyage ou d’autres événements. C’est un flot des souvenirs vivants dont il me plait de conter ici quelques-uns
La mission c’est la joie d’être utile à une multitude des personnes connues ou non ; la vie est rythmée par des faits, importants ou anodins.
Tôt le matin, la journée commence par l’offrande de la messe : la cloche sonnée par le sacristain mi-sommeillant, retentit dans le silence matinal en même temps que le crépitement du tam-tam (mond, en lunda ) des voisins méthodistes. La nuit s’achève, le crépuscule matinal se désagrège progressivement. Les silhouettes des cases de la capitale de l’Empire se dessinent. Des voix annoncent que la vie ressuscite. Sur la route de l’église, des fidèles s’empressent à rejoindre la paroisse par groupe de 4 à 5 personnes. La messe commence à 6 heures chantée par quelques pieux et persévérants disciples. Immédiatement après la messe, on n’attend pas un rendez-vous, vous êtes littéralement accaparé : l’un vient s’enquérir de votre santé, l’autre demande qu’on bénisse son chapelet, un troisième est estropié, il a besoin qu’on l’assiste. C’est alors seulement qu’on peut se retirer pour la récitation du bréviaire et commencer les activités ordinaires de la mission. Le soleil point déjà là haut. Le Curé est au centre du village :
"Monsieur l’abbé, les fidèles vous attendent au four des briques qu’on construit à la cité". – Bon j’y viens bientôt !
Et dans l’entre-fait, on frappe à votre bureau :
"Mwant abbé, voici une palabre sur la sorcellerie…. Suit un long récit passionnant des histoires qu’on serait tenté de juger de farfelues". Mais il fallait accorder de l'importance à la personne tourmentée.
"Mwant abbé, voici un message qui vient du palais de Mwant Yav, le Grand Chef voudrait que…."
"Mwant abbé, les militaires viennent d’arrêter arbitrairement un de nos fervents chrétiens, il faut vite intervenir, il est maltraité….."
Mwant abbé, un chrétien va bientôt rendre l’âme, il demande l’onction".
Et l’on applique le principe qui nous demande d’ « avoir dans son sac une chanson pour chaque peine. Chaque individu est toujours nouveau et son problème est toujours le plus important. L’exercice du sacerdoce est de s’exercer à se composer un visage toujours affable prêt à écouter, même quand vous êtes contrarié par des problèmes qui vous sont propres. Parfois, on est quand même exténué, l’énervement prend le dessus. Parfois aussi les « ayant droit » à la charité se font légion. Et on n’est pas riche pour tant distribuer….On se lasse. De fil en aiguille, on termine une journée. On rentre dans la cour interne prendre son repas. La nuit tombe. L’électricité est, bien sûr, inexistante.
– "Monsieur l’abbé, on n’a plus de bougie pour l’éclairage au réfectoire et au salon, constate Papa Fidel, le cuisinier". Au ciel, le premier quartier de la lune monte ses reflets qui éclairent à peine. – "Tant pis, Papa Fidel, je resterai dans la cour, au clair de la lune, sers-moi le repas du soir ici…"
« Quand viennent les soucis, ils ne viennent pas simples espions mais bataillons entiers ». (SHAKESPEARE)
Ce vendredi 26 février 1993, est une journée de malheur. Une tornade s’abat sur le village. Les maisonnettes se devinent à peine à travers la masse pluvieuse. Un vent terrible accompagne cette tempête. Le vacarme des tôles devient de plus en plus assourdissant. Dans la désespérance étreignante de cette fin d’après-midi, je contemple à travers les voiles des larges fenêtres de mon bureau les dégâts : des maisons qui croulent, des arbres qui craquent, une foudre qui éclate. L’angoisse me saisit. Tenace et inlassable, la pluie continue avec la même force destructrice. Elle finit par soulever une partie du toit de mon église, Notre Dame de Fatima : Tôles et plafond métalliques s’envolent dispersés jusque devant mon bureau. L’antenne de ma petite phonie est terrassée. J’assiste à ce tableau macabre, le cœur serré. A peine revenu d’exil ! J’avas dix jours depuis mon retour à Musumba. Et le carême venait de commencer. Progressivement, le ciel imposa son silence. Il est 18 heures. J’avais bien peur ! Mais dehors l’on entendait déjà les jacasseries de la foule des badauds et les criailleries des enfants contemplant le majestueux édifice, dépouillé. Seigneur ! Un événement de plus dans ma petite vie de pauvre jeune Curé ! Il fallait tenir tête au découragement. Abbé Alain, curé de brousse sur qui tous les yeux des fidèles étaient braqués, rôle délicat et pénible, j’acceptais de le jouer jusqu’au bout. Nous devions relever le défi nous-mêmes, sans financement de l’étranger: j’encourageai en ces termes les fidèles. Quelques mois plus tard, avec, quand même, le concours de la mission Ntita où habitaient mes confrères et nantis Pères Salvatoriens et même avec le concours de la mission méthodiste (qui nous prêta un poste à souder), nous parvînmes à remettre tout en place. Et la vie continuait… avec de nouveaux appels à l’initiative, à l’ingéniosité et surtout au cran.
EN TOURNEE…
La vie en mission, c’est aussi les visites des communautés chrétiennes de la brousse intérieure. Les villages dont j’ai parlé ci-haut attendaient toujours ma prochaine arrivée. Aujourd’hui, nous allons vers le village de Mwant KARL, à une vingtaine des kilomètres de Musumba. L’animateur pastoral, KAPEND CHITAV Boniface, qui m’accompagnait dans ces tournées est arrivé tôt à la Paroisse d’où nous devions partir. Ma moto Honda était prête. Un dernier coup d’œil avant le voyage : "rien n’est-il oublié ? Calice, ciboire, hostie et vin, missels, les huiles saintes…?" Mon compagnon acquiesce. Tout y est vraiment. Plus qu’à fermer mon sac blanc où tout cela est fourré. Bientôt l’animateur l’accrochera sur son dos. Un dernier adieu à papa Fidel, le cuisinier. J’empoigne les guidons de ma Honda après avoir attaché le casque de sécurité. L’engin sera bientôt lancé à travers la campagne à 80 Km/h. L’animateur KAPEND s’agrippe de tous ses muscles. Les dernières plantations de Musumba sont dépassées en un clin d’œil. Sinueux, le sentier s’étire à travers la savane boisée aux herbes encore hautes en ce début de la saison sèche. L’armure de sécurité dont je me suis revêtu ne suffit pas à parer les fouets sifflants de ces herbes tenaces. Rien ne nous arrête, nous échangeons à la volée quelques paroles. Le village CHISHIDIL est dépassé, puis KATALAL. On sent l’approche d’une rivière, oui la RUSHISH est à quelques mètres. Le pont qui coupe cette rivière est formé d’un tronc d’arbre suffisamment rond pour vous faire craindre une traversée sans chute. C’est vraiment un passage dangereux. Nous descendons de la moto pour mieux prendre toutes les précautions. Il faut la pousser, elle est assez lourde, jamais je n’avais appris à faire l’équilibriste, heureusement mon compagnon, plus expérimenté, intervint efficacement et nous traversons avec succès la rivière. Enfin on approche : les champs de manioc défilent à nouveau et brusquement les toits des chaumes apparaissent, nous sommes arrivés à destination dans le village de MWANT KARL.
Déjà viennent en courant hommes et femmes devancés par les enfants, tous chantant et criant leur joie. Le refrain de bienvenue est repris par tous : « Wezaku, wezaku Mwante, wezaku Mwant, ilel unou wez kal ; wezaku Mwant amboku ! Twading aan anshon, nlel ushon wapwang kal, wezaku Mwant amboku ! » Ce qui veut dire: "Bienvenu, bienvenue, Mant (titre de respect). Nous étions comme des orphelins tristes, maintenant, plus de tristesse, bienvenue, Mwant"
Le catéchiste, l’air très important, accompagné par ses subalternes maîtres de chant, se frayent un passage parmiles hommes, les femmes et les enfants pour nous accueillir les premiers, à l’entrée du village. Le Chef, MWANT KARL CHIKOMB attendait majestueusement assis sous l’arbre devant son palais : le cortège devait être reçu d’abord chez lui où les chaises en bambous étaient d’avance rangées avec protocole : l’événement est de taille. Après mon petit mot de remerciement pour l’accueil me réservé, c’est chez le catéchiste que le cortège termine sa marche. Sans repos, je demande à mes hôtes de se préparer pour la célébration de la messe : baptêmes et mariages religieux étaient prévus.
Ainsi, dans la ferveur de cette sainte visite, les gens du village exécutent l’un après l’autre les différents moments de la journée festive :
- Messe fiévreusement chantée
- Repas pléthorique : au menu le ruk (boule de pâte à base de manioc), la viande de chasse, du poulet etc.
Le soir est déjà tombé après la longue célébration eucharistique, on dispose des bûches, l’une sur l’autre pour être allumées. Les réjouissances nocturnes allaient commencer. Ici et là on voit des mamans arracher des pailles à leurs cases, allumées ces pailles serviront de torches. Le grand moment des danses et des chants a commencé : mélodies religieuses et chants profanes s’alternent. Quelques discours improvisés par des membres du groupe: "Tukwet musangar wa kumwak Tatuk Abbé Lain..." (Nous sommes heureux d'accueillir l'Abbé Alain). Une éclatante clarté illumine les chaumières de ce beau village des « a Kaumbu, ainsi sont nommés les habitants de Karl ». On est bien content de la confiance vous témoignée, même si on va se coucher avec des oreilles qui bourdonnent. Le lendemain, une autre messe avant la séparation, une dernière exhortation puis on lève l’ancre gratifié des poulets ou même d’un mouton : la vie en mission a ses peines, mais aussi ses délices.
Pendant des années, je vivrai ces scènes d’accueil dans les villages, des villages parfois tellement minuscules qu’on dirait qu’ils ont volé à la brousse conquérante juste un petit espace pour la vie humaine.
Tout cela me revient parfois avec nostalgie : c’est gai, cette petite pluie monotone, ce soleil doré du mois de mai. C’est joyeux, ce dérangement d’enfants aux torses à peine vêtus qui emplissent votre bureau pour vous demander des images (ipich, disent-ils en ruund) et des bonbons. Souvenir aussi des voyages en véhicule Land Cruiser : quand on a échoué dans de la boue collante et après un travail harassant, lorsqu’on en sort avec des vêtements trempés et la glaise qui vous colle à la peau et qu’on peut repartir, alors on comprend mieux le prix de l’effort, et l’identité de missionnaire de brousse. Souvenir de la vie d’un peuple si démuni, si simple, si rivé à la nature qui lui fournit sa subsistance saisonnière, un peuple pourtant toujours joyeux et accueillant… Musumba avec sa terre rouge m’a formé à l’école de la vie.
En juillet 1995, je quittais la mission de Kapanga pour commencer une toute autre vie, en ville à Kolwezi.
Abbé Alain Kalenda Ket
Mission Catholique de Kapanga, les Pères Salvatoriens
CHAP 8 L’ERE SALVATORIENNE
8.1. LA POLEMIQUE DES FRONTIERES : ZONE DE KAPANGA – REGION DU KASAI
L’arrivée des Salvatoriens à Kapanga coïncide pratiquement avec l’accession du Congo à son indépendance en 1960. Nous connaissons tous les conditions dans lesquelles se sont déroulés les événements de cette accession. Le pays s’est retrouvé dans une situation politique chaotique. La confusion régnait partout : partis politiques et troupes rebelles se sont entre-déchirés. Moise Tshombé, un fils de Kapanga, fait grande figure sur l’échiquier de la politique nationale congolaise : il est Président de l’Etat proclamé du Katanga, il est ensuite Premier Ministre de la République Démocratique du Congo…
Ses soldats, reconnus sous l’appellation de « Gendarmes Katangais » sont vaincus par les forces de l’O.N.U en 1963 et se réfugient en Angola voisin. Ils resteront une force irréductible et une menace permanente du régime de Mobutu qui venait de prendre le pouvoirr au Congo à partir de 1965. Les rebelles Katangais attaqueront le pouvoir de Mobutu une première fois, en 1977, lorsqu'ils feront une incursion sur le territoire zaïrois du Sud-ouest (Kapanga, Sandoa, Dilolo) ; puis une deuxième fois, avec la prise de la ville de Kolwezi en mai 1978. Mais Mobutu résista aux assauts des assaillants.
C’est dans ce climat de crise perpétuelle que vont œuvrer les nouveaux missionnaires de Kapanga. Dans le domaine de la liturgie, nous sommes à l’heure du Vatican II, c’est-à-dire, l’heure des réformes. Le latin s’éclipse peu à peu pour permettre le développement liturgique des langues locales : chants et prières en lunda…
C’est aussi l’époque des premières ordinations sacerdotales des fils lundas, fruits de l’apostolat franciscain : l’abbé Michel NAWEJ (1960) ; l’abbé Christophe REMB (1964) ; l’abbé Paul MBANG (1965).
Quelques années après l’arrivée des Salvatoriens à Kapanga, ils furent confrontés au problème des frontières entre Kapanga et le Kasaï.
Les lundas du Nord-est de Kapanga (Nkalany) se sont retrouvés souvent ballottés entre la zone de Kapanga et la région du Kasaï. A quelle circonscription ecclésiastique appartenaient les chrétiens de Mutomb-a-Chibang, de Yombu, de Kambamb, de Nkalany ? Ils étaient évangélisés tantôt par les missionnairesdu Kasaï, tantôt par les missionnaires de Kapanga. Et pourtant, eux-mêmes, étant des Lundas (aruund), souhaitaient être définitivement attachés à la circonscription ecclésiastique de Kapanga. Le 09 avril 1960, après tergiversations, Mgr KETTEL, évêque de Mbuji-Mayi, céda officiellement le terrain controversé du Nord de Kapanga aux missionnaires du territoire de Kapanga.
Ce conflit trouve racine loin dans l’histoire missionnaire : avant même l’érection de la mission de Kapanga, le Kasaï voisin était déjà évangélisé par les scheutistes (Cfr Chap. II, p.22). Ce sont les prêtres de cette mission et leurs catéchistes qui vont sillonner toute la contrée du Kasaï jusqu’à Kapanga.
En 1932, les franciscains venus de Sandoa pour fonder la mission de Kapanga vont bousculer cet ordre établi en tenant compte de la subdivision territoriale de l’Etat.
Alors que les missionnaires du Kasaï occupaient le Nord de Kapanga jusqu’au 8°10’ latitude Sud, les franciscains reprennent ce territoire en 1939. Les Pères de Scheut du Kasaï relancèrent l’offensive et réoccupèrent la contrée après érection de la mission TUBEYA (WIKONG) la même année 1939.
C’est finalement en 1960 que Mgr KETTEL se résigne à céder au Diocèse de Kamina (Kolwezi) ce morceau. Mgr KETTEL de Mbuji-Mayi, nous l'avons dit, ne faisit que se plier à la volonté de la population concernée, et du MWANT YAV. Cette population, en effet, demandait avec insistance d’être enseignée en lunda, sa propre langue et non en Chiluba, une langue étrangère. En d’autres termes ce peuple se reconnaissait Katangais et appartenant à la mission de Kapanga. Après cette '' capitulation'' des missionaires du Kasaï, Les Salvatoriens, nouvellement arrivés pouvaient alors évangéliser ces villages en toute quiétude.
Puisque ces accords n'étaient encore qu'officieux, on pouvait s’attendre à une éventuelle relance du conflit, une fois qu’un nouvel évêque succèderait à Mgr KETTEL. De fait, Mgr NKONGOLO venait d’être nommé évêque de Mbuji-Mayi. La plume intrépide de Mgr KEUPPENS, Evêque du Diocèse de Kamina auquel appartenait Kapanga, ne devait plus dormir : le 5 août 1970, Mgr KEUPPENS demandait au nouvel évêque de ratifier la juridiction qui fut donnée aux Pères de Kapanga par Mgr KETTEL en 1960. Il fallait le faire par écrit et officiellement, exigea-t-il. Le 19 octobre 1970 fut alors signé par Mgr KEUPPENS et Mgr NKONGOLO un contrat conjoint de délimitations exactes. Les archives de l'Evêché de Kolwezi disposent de ce document qui donne les termes précis du contrat:
« Il a été convenu que les limites des deux diocèses correspondaient dorénavant avec les limites de deux provinces administratives de la République Démocratique du Congo not. (Sic) les provinces du Kasaï et du Katanga… »
Au niveau de la hiérarchie, le conflit fut résolu donc de façon heureuse.
Sur terrain, au sein de la population elle-même, un ancien de cette époque-là, Monsieur Rumbu KOJ raconte qu’il y a eu des échauffourées :
« C’est arrivé qu’à une certaine période, raconte-il, on s’est mis à chasser les catéchistes du Kasaï et de Kanenchin (TUBEYA). Ces années-là un certain abbé David MUKENDI faisait son apostolat dans la contrée de la Nkalany arrivant jusqu’à Kateng à 18 Km de Musumba. Il enseignait en Chiluba. Nous autres, population lunda nous étions très mécontents de cette situation où il fallait mettre à l’avant plan la langue des autres. A ce rythme, le lunda était appelé à disparaître comme langue liturgique, notre culture était menacée d’effacement. J’étais commis aux bureaux du Territoire. Ainsi avec l’accord de Mwant Yav DITEND et de l’Administrateur du Territoire, Monsieur Sovet, nous avons écrit à l’Administrateur de Lusambo et de Mwene-Ditu pour leur manifester notre désaveu.
Un jour, on fit venir aux bureaux du Territoire de Kapanga l’abbé David Mukendi qu’accompagnaient deux autochtones de Kanenchin (Tubeya) pour un débat houleux en présence de Père Laurent, un Salvatorien œuvrant chez les lundas. Au bout d’une longue discussion, l’abbé David exprima son sentiment de déception et s’engageait enfin à retirer ses catéchistes kasaïens. Et les Pères de Kapanga devaient les remplacer par des catéchistes aruund (lundas). »
Quelques années plus tard, on dirait que les salvatoriens avaient jugé bon de choisir un roi des armées pour veiller à la frontière contre toute invasion éventuelle de l’élément Kasaïen: ils bouchèrent l’entrée de la frontière du Kasï en y créant la Paroisse Saint Michel de Kalamba.
Au niveau de la Nonciature, une correspondance trouvée dans les archives de l’Evêché de Kolwezi montre comment fut close cette affaire. Le conflit des frontières concernait aussi plusieurs autres Diocèses du Katanga : ainsi le 18 novembre 1970, Mgr TORPIGLIANI, Nonce Apostolique à Kinshasa, signale l’acceptation par la S.C pour l’Evangélisation des Peuples, des rectifications de nouvelles frontières entre les Diocèses qu’il cite (dont celui de Kolwezi).
En conclusion, tout porte à croire donc que ce problème s’est déroulé à des échelons différents. Au niveau de la Hiérarchie de l’Eglise, c’est à coup des plumes et avec tous les égards seigneuriaux qu’on est arrivé à une convention définissant clairement les frontières conflictuels.
Au niveau du peuple, le conflit fut plutôt plus sentimental : le lunda se sentait frustré d'être enseigné en chiluba et se devait donc de défendre et de protéger sa langue et sa culture face au chiluba envahissant. On s’est mis alors à chasser tout ce qui était kasaien.
Mais qu'il en soit il est un fait établi que l’évangélisation d’une partie de Kapanga, spécialement celle du nord-est, est venue du Kasaï. Le peuple lunda na cependant pas de gêne à admirer et à louer sincèrement le courage, la force, la persévérance et la piété du corpulent Abbé David MUKENDI du Kasaï. Il a parcouru la contrée de la Nkalany à pieds et parfois à vélo. La population qu’il évangélisait transportait ses malles sur la tête, à la manière des premiers missionnaires blancs. L’abbé David fut réellement un missionnaire, disent certains anciens. Une graine d’Ave Maria pour lui nous préserverait de toute ingratitude.
8.2. LA VIE DE QUELQUES MISSIONNAIRES
8.2.1. LE FRERE HENRI VERKOOYEN « SAMWAN ».
Ce Frère est le missionnaire par excellence de la mission de Kalamba. Né en 1926 au Pays-Bas et devenu religieux, il accepte d’être envoyé comme missionnaire au Congo-Belge. Il fut le premier religieux salvatorien à fouler le sol de Kapanga où il joua le rôle de charnière entre les Franciscains partants et les Salvatoriens qui arrivaient.
D’un abord facile, le Frère s’attira beaucoup de sympathie de la part de la population lunda dont il parlait aisément la langue. Ce fut un homme très généreux, et d’aucuns reconnaissent avoir bénéficié des bontés de celui qui devint le Chef coutumier SAMWAN : il a payé les études de certains jeunes, fait construire des maisons d’habitation à d’autres, donné des outils ou des machines de travail etc… Les actes de bienfaisance ont jalonné toute sa vie à Kapanga. Il est difficile de les énumérer tous. Parmi ses grandes œuvres, il convient de citer celles de développement, spécialement dans les constructions des ponts entre Musumba et Kalamba. Le voyageur étranger, non averti qui traverse la Rushish ou la Kajidij, n’y verrait que quelques ponts parmi tant d’autres ; le natif par contre est renvoyé au souvenir de Frère Henri. C’est à peine qu’on a pu se retenir parfois de s’écrier à certaines traversées : « Béni sois-tu Frère Henri ». Le Grand Chef Mwant Yav David Muteb II l’honora du titre de SAMWAN qui fit de lui un véritable notable des lundas investi de tous les insignes traditionnels : la couronne royale (chibangu), un ample pagne (mukambu), un bracelet (rukan), un coutelas dans son fourreau (mpak ya mukwal) suspendu sous son bras ; une petite hache (chimbuy) et la queue-chasse-mouche (mwimpung) à la main. Le Frère Samwan jouit de tous les privilèges liés aux notables lundas. A son arrivée, après un bref séjour à Ntita, c’est à Kalamba qu’il consacrera le reste de sa vie(27 ans).
Tombé malade en février 1991, frère Samwan arrive d’abord à Ntita pour les premiers soins, ensuite il est évacué par petit porteur vers Lubumbashi. Après Lubumbashi, il regagne l’Europe, nous promettant de nous revoir après six mois… C’était, nous l'ignrions, nos adieux à Frère Samwan à la plaine d’aviation de Musumba. En effet, le 9 juillet 1991, le frère rendit l’âme, en Europe. "Le Frère Samwan est mort, nous annonça-t-on". A Kalamba on organisa un deuil digne d’un notable lunda. Il est mort. Mais sa chaleur humaine durera encore des années dans le pays des « Ayipak » (dénomination des habitants de cette contrée). Son nom continue encore à retenir dans nos conversations à Ntita et à Musumba : « C’était un homme de Dieu… »
8.2.2. PERE ALBERT IHLE.
Père Suisse, né le 25 octobre 1906. C’est lui qui fut chargé de fonder la mission de Kalamba. Il y laissera sa vie le 10 octobre 1969 à 19h30. Il arriva au Congo comme missionnaire en 1956. Il passa sa première année de pastorale à Kapanga ; ensuite, il fut envoyé à Kanzenze. Il fut l’un des rares salvatoriens à avoir donné cours au Petit Séminaire de Kanzenze, fief des franciscains. Il y travailla de 1957 à 1960. Sa destinée penchait plutôt vers la mission de Kalamba. Il revint ddonc à Kapanga aprèss 1960. Il est ensuite envoyé à Kalamba. C’est là qu’il s’est épanoui, se consacrant entièrement à son travail dans la recherche du bien-être de la population qu’il devait évangéliser: il a puisé dans son savoir peu commun, des moyens appropriés pour être tout à tous : il était prêtre, bien sûr ; mais aussi médecin, constructeur, infatigable voyageur… L’Eglise de Kalamba s’est élevé, puis un dispensaire. Il envisageait même de construire un hôpital et une école pour infirmières, mais un soir, des bandits pénètrent chez lui. Quatre balles tirées sur lui mettent fin à sa vie terrestre et … à ses projets. La soif d’argent de quelques canailles l’emportait sur la générosité dont aurait profité tout un peuple. Adieu Père Albert, Jésus vous invite : « Venez les bénis de mon Père… car j’étais malade et vous m’avez visité… Recevez en héritage le Royaume… » La nouvelle se répandit aux quatre coins de Kapanga, du Diocèse de Kamina.
8.2. 3. LE PERE HEITFELD ALIAS MADJAKU.
Avant de devenir prêtre, Heitfeld a d’abord travaillé dans les mines de charbon en Allemagne. Mais Dieu lui préparait une autre voie et une autre croix. En effet, ordonné prêtre, le Père Louis est envoyé en Chine. Nous retenons de lui qu’il avait une grande dévotion pour Notre Dame de Fatima. Il construisit dans le Chef-lieu de la Province de Fu-Kien en Chine une cathédrale qu’il dédia à Notre Dame de Fatima. Le calvaire allait commencer avec l’arrivée des communistes au pouvoir. On persécute l’Eglise et ses missionnaires. Le Père Louis fut arrêté et emprisonné. Il subit des tortures atroces pendant vingt deux mois. Il a écrit une petite brochure intitulée ‘Gehirn Wasche’ (Lavage du cerveau). Il promit à la Vierge qu’il construirait encore une église qu’il lui dédierait s’il sortait de prison. Sa prière fut exaucée. Le Père est libéré. Il rentre en Europe. Mais il n'y demeura point. Il lui est proposé d''aller en Afrique et spécialement au Congo et à Kapanga. Il y arrive en 1958. Il est nommé Vicaire à Musumba. Il reçut de Mwant Yav Mushid le titre et les insignes de ‘Chef Sachilemb’. Le Père Louis arborait une bien bonne longue barbe que le Père Jef Cornelissen qualifie de prophétique, il avait aussi une voix tellement grave que la population lui colla le surnom de MADJAKU (en lunda, un oiseau au timbre grave). Le grand mérite de Père Louis se trouve dans l’œuvre grandiose qu’il va léguer à la capitale de l'Empire Lunda, Musumba, à savoir la construction de l’église de Notre Dame. En effet rappelé en Allemagne pour devenir Procureur des missions à Passau, il n’oubliera pas sa promesse lors de sa captivité en Chine : construire une église dédiée à la Vierge Marie. Il se mit alors à financer la construction d’une église à Musumba, à la taille de la Capitale de l’Empire. L’exécution de l’œuvre sur place sera réalisée par Frère Georges LENDERS, Père François Caris et Père Arnold STEVENS. L’inauguration de la nouvelle église eut lieu le jour de la fête du corps et du sang du Christ en 1966 par Mgr KEUPPENS. Depuis lors, l’église de Musumba, érigée en Paroisse en 1957, prit le nom de Notre Dame de Fatima et se dévêtit de celui de Sainte Elisabeth.
Autour de cette construction, se posa le problème d’emplacement de cet édifice. Les missionnaires catholiques ne voulaient point séparer l’église de la paroisse. Et pourtant, à Musumba, l’Eglise Catholique n’avait qu’une infime concession sur la Grand’ Place appelée Dibur dia Mwant Yav, littéralement, la grande Cour réservée à Mwant Yav. De quel droit les missionnaires catholiques pouvaient-ils encore se permettre de réduire la superficie de la cour sacrée impériale à leur bénéfice ? C’est la question que se posait le Chef Chot. C’est encombrant, pensait-il. Le bras de fer s’engagea entre le Chef Chot et l’Eglise sous l’œil indécis de l’arbitre Mwin Mangand Mwant Yav Ditend. Mais la sympathie pour cette œuvre et à cette place veillait au cœur du Grand Monarque. En fin de compte, c’est lui-même, le Mwant Yav, qui imposera sa décision souveraine en faveur de l’Eglise : « il fallait élever les murs de Notre Dame sur la Grand’ Place, qu’il en déplaise à certains notables ». Le 24 mars 1992, nous avons questionné le Chef Chot à ce sujet : il marque un petit regret sur ce qu’il croyait être la bonne position qu’il fallait défendre croyant satisfaire l'Empereur. Le Chef Chot est le notable dont le rôle est d’activer le feu au Palais du Mwant Yav, il surveille, en outre, les femmes du Palais contre toute infidélité. Depuis 1942, le chef Chot est encore au pouvoir jusqu’aujourd’hui. La polémique de jadis autour de l'occupation par les catholiques d'un espace sur la Grand'Place semble l'embarrasser aujourd'hui.
8.2.4. LE PERE FRANS CARIS
Ce Père fut un homme très dévoué à son travail. Il était maçon. Quand le Père Martin arrivait en 1961, dans le village de Kapanga où il s’installerait, Frans Caris venait de terminer la construction de l’église Sainte Famille aidé par Frère Georges Lenders. Caris a d’abord, lui-même habité dans ce village. Ceux qui l’ont connu parmi la population, nous racontent qu’il était de bon caractère, mangeant et buvant comme les ‘indigènes’. Après son séjour de Kapanga, il ira s’installer à Musumba où il vivra dans une même communauté avec Père Arnold. C’est là qu’il fonda un Centre Culturel : véritable foyer de propagation des brochures en lunda. Il a publié par exemple : « Ayilabu a Uganda », « Marie Goretti et Monique ». Il est à l’origine du feuillet d’information baptisé : « Kuvarakan », feuillet qui sera relancé plus tard par le Père Paul WEY. C'est le Père Caris qui va se consacrer à la construction de la nouvelle église de Musumba, financée par le Père Heitfeld.
Mais l’homme reste imprévisible. Caris quittera les ordres, pour fonder une famille. Il ira habiter la ville de Lubumbashi où il a exercé le métier de professeur à l’athénée de Kiwele en 1971. Quelques années plus tard il retourna en Europe où il vit encore aujourd’hui comme un bon chrétien profondément engagé.
8.2.5. LE PERE BAUDOUIN THEWISSEN
Entre 1964 et 1974, arrivèrent à Kapanga des missionnaires qui ne purent s’adapter à la vie de cette contrée. Ces inadaptations étaient d’ordre divers, selon les personnes. Nous citons parmi ces missionnaires :
Le Père Anselme (un autre ancien missionnaire venu de Chine y ayant fui la persécution).
Arrivé en 1966, ce Père préféra exercer la fonction exclusive de professeur de l’école de Ntita, rejetant toute autre tache liée à son ministère sacerdotale : ainsi il ne voulait ni prêcher, ni confesser, ni dire des messes en public. Rentré en Europe, il jeta le froc aux orties.
8.2.6. LE PERE WILLY SMEET
Il est arrivé en 1965. Il a écrit les chroniques de la mission de Kapanga de la période franciscaine. Suite à une santé fragile, il dut rentrer en Europe. Il a souffert de l’estomac, de fortes constipations, du foie etc. Et pourtant, nous raconte le Père Arnold, c’est un missionnaire qui eut beaucoup des facilités à apprendre la langue lunda.
8.2.7. LE PERE HUBERT GIJSEN
Arrivé très jeune à Kapanga, il se montra un homme dynamique et ouvert. Il était bien apprécié par les jeunes tant par ceux de Musumba que par ceux de l’école artisanale de Ntita. Un enseignant qui a connu le Père Hubert, raconte avec plaisir les largesses de ce missionnaire : « C’était un très bon prêtre, il distribuait des habits usagés dans les villages, du sel etc. »
Son idéalisme juvénile l’amena à concevoir un projet gigantesque : il se proposa de construire, nous rapporte le Père Martin, ‘une Paroisse pilote’ dans le village de Chibamba. Il souhaitait de toutes ses forces la réalisation de ce projet, mais en cette matière, la seule bonne volonté ne suffit pas, il faut se confronter aux faits. En effet, le Père Hubert qui se voulait être un missionnaire de campagne rencontra vite sur son chemin la déception et le découragement : la brousse était bien hostile tant la solitude y était pesante. En plus, les confrères missionnaires le regardaient d’un air moqueur et indifférent. Il résolut de rentrer gentiment à la grande mission de Ntita. Quelques mois plus tard, Père Hubert s’en allait en congé ordinaire. De l’Europe, raconte le Père Paul, il envoya une lettre pour annoncer qu’il ne reviendrait plus jamais à Kapanga et au Congo parce qu’il avait reçu une admonestation des autorités de la Sureté Nationale Congolaise qui le menaçait.
Tout compte fait, l’on comprit que la mission du fébrile Père Hubert s’arrêtait-là. C’était en 1967.
8.2.8. FRERE GEORGES LENDERS SURNOMME JOMBOLO
A côté des religieux, les Salvatoriens ont été aidés par des laïcs.
Frère Georges en est un. Il est arrivé en 1959. Il fut un grand Maçon aux cotés des Pères FRANS Caris et Arnold STEVENS. Son œuvre s’élève aujourd’hui à travers les différents postes de mission de Kapanga : une partie de la mission de Kalamba vient tout droit de ses muscles, il a participé à la construction de la paroisse Sainte Famille à Kapanga. Et plus tard, il s'attelera, avec dévouement et succès, à la construction de l’Eglise Notre Dame de Fatima de Musumba. Au Frère Georges, il faut associer aussi Monsieur Lambert VAN LANGEDONK, son menuisier bras-droit.
8.2.9. MONSIEUR WOLLY BOSCH.
C’était un laïc très dynamique qui se faisait passer pour un ‘monsieur qui connaît tout.’ Il déclarait même savoir piloter un avion à réacteurs. Il était un as de l'aviation, semble-t-il. C’est avec sourire au coin des lèvres que ses confrères prêtres écoutaient ces belles histoires sans y croire du tout. Quoi qu’il en soit, nous dit le Père Arnold, il ne lui manquait pas certains talents : il était certainement excellent en dactylographie, et jouait merveilleusement bien au football où il récolta beaucoup de succès auprès des jeunes.
8.2.10. MONSIEUR PAUL
Encore un volontaire qui aurait rendu d’énormes services à la mission n’eût été sa petite turbulence. Il disparut pendant deux semaines en brousse emportant avec lui le camion de la mission. Après tant d’autres petites aventures, le Père Supérieur le conseilla de reprendre le chemin de l’Europe pour continuer sa vie trépidante.
8.2.11. FRERE JOSEPH BEERENDONK
Il fut le Hercule des jardins. Il était un homme de forte carrure, capable de vous soulever, nous rapporte le Père Martin, tout un fût de carburant pour le hisser sur le camion. En son temps, les casseroles de la mission ne devaient jamais souffrir du manque des légumes.
CHAP. 9 LES PERES DOYENS D’AUJOURD’HUI
Les Pères Salvatoriens de la première génération sont tous passés. Cependant aujourd’hui encore nous vivons avec des missionnaires arrivés à l’aube des années 60 à Kapanga. C’est le cas de Père Laurent Théodore JANSENS (1959), de Père Martin KOOPMAN et de Père Arnold STEVENS. Les Pères que je nomme doyens dans la vie ecclésiale de Kapanga sont justement ceux-là à qui il faut ajouter le Père Joseph CORNELISSEN, Père Maurice PIET STEVENS, Père Paul WEY FRANS, sans omettre le Père Godefroid GOVAERS qui vient récemment de retourner en Europe. Nous allons parler ici de quelques-uns seulement.
9.1. PERE ARNOLD STEVENS
Le 15 mars 1992, nous avons rencontré le Père Arnold à Sandoa. Et, avec plaisir, nous avons abordé la page d’histoire de la mission de Kapanga. Il nous a éclairé sur bien des points et spécialement sur son propre travail pastoral. Le Père travaille actuellement dans une ferme en retrait sur la route Sandoa-Kapanga et plus précisément à KASOMBIJAN. Dès son arrivée en 1961, son premier effort fut d’apprendre la langue lunda ; il y consacra six mois. Après cela il fut chargé de l’école artisanale à Ntita, puis en septembre 1962, il arriva à Musumba comme vicaire paroissial de Père Jérôme. Il n’y demeura pas longtemps, il retourna de nouveau à Ntita avec le projet de débuter la première école secondaire catholique. Dans cette entreprise les Pères rencontrèrent à nouveau la traditionnelle forte opposition de l’Eglise Méthodiste. Les protestants, en effet, reviennent à la charge pour empêcher la création d’une école secondaire catholique, craignant que cela fasse la popularité et la publicité de l’église Catholique Romaine et son expansion rapide dans les villages. Le Père Laurent, Supérieur, las de ces empoignades insensées voulut carrément laisser tomber le projet. Heureusement, nous dit-on, le Président TSHOMBE dut intervenir en faveur de cette œuvre et encouragea la naissance et l’épanouissement de l’école. Ce sera le futur Institut Ntita.
Les débuts du travail de Père Arnold sont assez mouvementés : on le retrouve bientôt Curé de la Paroisse Sainte Famille à Kapanga, il y remplaçait le Père FRANS Caris parti en vacances en avril1963 . Pendant cette même période, le Père remplissait les fonctions de Vicaire à Musumba. C’est en avril 1964, qu’il fut confirmé curé de cette dernière paroisse. En janvier 1965, il quitte définitivement la paroisse Sainte Famille pour s’installer à Musumba avec le Père Hubert GIJSEN. Au départ de ce dernier, en 1967, il y habitera seul. Certains soirs, nous raconte-t-il, il se rendait à Ntita pour y prendre ses repas dans la grande communauté, parfois, par contre, il préférait rester dans sa cure de Musumba s’occuper du développement de ses photos. A Musumba le Père a lancé le Mouvement des ‘Guides’(Scouts). Mais il se heurta vite au manque d’intérêt de la part des adultes, le mouvement s’éteignit et fut remplacé par le Kiro. Le Père se rappelle qu’il a gardé aussi un mauvais souvenir de certains enseignants qui l’ont farouchement combattu. Mais qu’importe les vents contraires, il continua à mener sa petite barque : il traduisit des missels en lunda avec la collaboration de ceux qui lui étaient sympathiques, dont les enseignants NAWEJ FELIX et KALENG ANDRE ; il parcourut des villages prêcher la Bonne Nouvelle, il secourut des indigents de toutes sortes etc. Enfin en 1970, il prit ses vacances en Europe ; temps qu’il mit à profit pour se préparer à la tâche de Directeur du Centre Catéchétique. Quand il revint donc en 1971, c’était pour commencer une toute autre pastorale, d’abord celle de l’apostolat de la brousse : il visitait les villages de Yombo, Mutomb-a-Chibang, Mukamwinsh… Et puis alors le Centre Catéchétique en 1973.
9.1.1. LE CENTRE CATECHETIQUE DE NTITA
Les Pères salvatoriens, faisant écho à leurs prédécesseurs franciscains d’avoir un véritable centre de formation catéchétique, ont entamé les travaux de concrétisation du projet en 1973. Le projet fut approuvé au Conseil Diocésain en 1970. En décembre de la même année, il y eut une rencontre du Doyenné de Dilolo (actuellement appelé Doyenné de Lulua) où l’on décida d’ériger ce Centre à Sandoa, place centrale pour cette entité ecclésiastique, afin de permettre à toutes les missions concernées (Dilolo, Sandoa, Kapanga, Kasaji) d’y avoir facilement accès. Comme langue véhiculaire, le choix tomba sur la langue provinciale, le swahili. Le Père Arnold, Directeur nommé, s’y opposa parce qu’il ne connaissait pas le swahili, il voulut même démissionner pour cette raison-là. On décida alors d’implanter le Centre à Kapanga où, à coté du français, on userait bien aussi et surtout de la langue lunda préférée par le Père Arnold. L’implication salvatorienne dans cette affaire était de taille, on ne pouvait donc pas s’opposer efficacement à cette nouvelle donne sans se retrouver dans une impasse. Les Pères Joseph CORNELISSEN et Romain MISSEN furent chargés de s’occuper du projet. Les plans et le devis pour les constructions furent établis : le coût total s’élèverait à 32.654 Zaïres, somme très considérable à cette époque-là. On introduisit ce dossier à « Action de Carême des Catholiques Suisses ». Afin d’encourager les organismes à soutenir effectivement le projet, le Diocèse de Kolwezi fit savoir qu’il disposait déjà d’un montant de 172.000 fb (francs belges), somme qu’il remettait au Centre comme contribution (Sources : Archives de la Mission de Ntita)
Le Centre ouvrit ses portes en novembre 1973. Il avait pour but, la formation des catéchistes-animateurs bénévoles des missions précitées. C’est par périodes que des familles devaient venir habiter le Centre pour suivre la formation. Pendant que les hommes sont formés à la prédication de la Parole de Dieu, les femmes en profitent pour appendre quelques rudiments des cours ménagers (puériculture, nutrition, foyer, cuisine etc.)
Nous avons trouvé un rapport des cours qui se donnaient dans cet établissement et les périodes sur lesquelles ils s’étendaient :
1. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : mars 1973 – juillet 1974. 11 familles ont été hébergées au Centre.
2. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : octobre 1974 – juillet 1975. 20 familles.
3. Du mois d’août au mois de septembre 1975 : recyclage pour 13 catéchistes employés à temps plein.
4. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : octobre 1975 – juillet 1976 : 20 familles.
5. Août 1976 – septembre 1976 : recyclage pour 13 catéchistes employés à temps plein.
6. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : octobre 1976 – mars 1977. 20 familles. Et puis alors éclata la guerre de 80 jours au Shaba (Katanga). Les cours furent interrompus et ne reprendront que trois ans plus tard en 1979.
7. Octobre et Novembre 1979 : recyclage pour 13 catéchistes venus avec leurs femmes et enfants.
8. Juillet 1980 : recyclage de six semaines pour tous les catéchistes ayant eu leur formation dans ce Centre depuis sa fondation en 1973. 53 participants.
9. Novembre et décembre 1980 : cours de formation pour 50 catéchistes bénévoles. Après cette date, le Centre va connaître un ralentissement dans ses activités.
Difficultés.
a. De la part des formés
- Ces gens qui venaient étudier au Centre savaient parfois à peine écrire, ce n’était que des simples paysans dont le niveau intellectuel était très bas. Et parfois ils étaient déjà bien âgés. Aussi plusieurs n’ont-ils pas considéré ces périodes de formation comme un temps mort dans le déroulement normal de leurs activités paysannes.
- Les participants devaient parfois venir de loin : de Dilolo, Kasaji, Kalamba, et même Wikong. La persévérance n’était pas toujours au rendez-vous.
- Les plus doués d’entre eux, préféraient aller étudier à Lubumbashi à l’Institut des Sciences Religieuses (I.S.R), tout en dédaignant la formation du centre de Ntita.
b. De la part des formateurs
- Le Directeur de Centre, le Père Arnold, n’était pas toujours stable, parce qu’il a quand même continué encore à visiter les communautés chrétiennes de brousse. Ce handicap s’est aggravé lorsqu’il s’est installé à Kalamba (à au moins 100 Km de Ntita) depuis 1977 quand la guerre avait éclaté. Il y plaça même sa résidence jusqu’à sa confirmation comme Curé de ce village.
- Au moment où on a commencé la traduction de la Bible en langue lunda à Kapanga, on réduisit sensiblement les périodes de formations des catéchistes. Le Père Jacques venait alors de passer Directeur de Centre, en même temps qu’il s’occupait de la dite traduction. On a commencé à organiser des sessions de 3 jours seulement. Ce sont les catéchistes formés à l’I.S.R de Lubumbashi qui se chargeaient de dispenser les enseignements destinés aux catéchistes venus des villages. Une nette distinction va se faire jour entre les catéchistes formés à l’I.S.R et ceux formés sur place à Ntita.
Voici les noms des catéchistes (animateurs) ayant œuvré à Kapanga jusqu’à ce jour :
LA PREMIERE VAGUE : Mayemb a Kasaj (à Musumba), Mases Marcel (Musumba), Mbaz (à Mukamwish), Mutiy Jean-Baptiste (à Mpand-a-Kalend), Rubing qui œuvra à Kalamba puis est devenu chef coutumier à Mbok ; Kaleng Floribert (à Ntita) et Kabund (à Kapanga).
LA DEUXIEME VAGUE : Mupang Innocent (Kalamba), Mufot (à Renyek et Musevu), Mulapu Vincent (à Ntita), Chikut (à Chamb et Kambundu), Kapend Chitav Boniface et Chilond Alidor (à Musumba), Kapend Chibang (à Chibamba).
LES BATIMENTS DU CENTRE
Le Centre Catéchétique de Ntita est construit entre le couvent des Sœurs et celui des Pères. Il comprend 16 maisons d’habitation dont 8 parmi elles sont jumelées. Elles sont rangées sur deux lignes parallèles et au milieu du Centre sont bâtis les bureaux du Directeur et la salle des conférences.
MAYEMB A KASAJ, UN CATECHISTE A ROME
Le catéchiste Mayemb-a-Kasaj fait grande figure dans l’histoire de l’Eglise naissante de Kapanga. Mayemb fut un ancien jeune cuisinier des colons européens dans les villes minières de Kambove et de Likasi. Il est rentré dans sa zone natale à Kapanga en 1928. Quand les Pères franciscains arrivèrent en 1929, il fut un des premiers inscrits pour le catéchisme et fut baptisé en 1932 par le Père Amans. Depuis lors, allait se confirmer sa vocation d’être porte-parole de Dieu jusqu’à devenir un des grands noms des catéchistes de la zone de Kapanga. Il a travaillé tour à tour aux cotés des Pères Amans, Adhémar Kawel, Pascal Ceuterick ; il a continué à travailler, par la suite, avec les Pères salvatoriens.
Après avoir parcouru des villages innombrables, prêchant et exhortant le peuple de Dieu à vivre sa Parole, Mayemb déménagea du village Kapanga à la Capitale de l’Empire, Musumba.
En 1963, il eut le rare privilège parmi les catéchistes de visiter l’Europe : il y fut accueilli par la communauté des Pères Salvoriens. Le comble du bonheur arriva au moment où il lui fut donné de rencontrer le Pape de Rome. Celui-ci l’honora d’une médaille de mérite que Mayemb devait désormais arborer dans toutes les manifestations officielles de l’Eglise. Revenu à Kapanga, il écoula sa petite vie paisiblement à Musumba, avec le même dévouement au service de l’Eglise. On raconte, dans les détails de sa vie, qu’il fut d’une propreté exemplaire, ce qui lui valut le surnom de Belge Noir. Il s’est éteint à l’hôpital de Ntita en 1969 et fut enterré au Rusambu, le cimetière de Musumba. Plus tard, pour conserver dignement son souvenir, on donnera le nom de Mayemb-a-Kasaj à l’école primaire centrale catholique de Musumba.
Le Centre a connu ses heures de prestige, mais ce temps est révolu : à la période de gloire a succédé plutôt aujourd’hui, une période terne, apparemment sans avenir certain. Quand je suis arrivé à Kapanga, dans l’équipe des Pères Joseph CORNELISSEN et Paul WEY, nous avons encore, ensemble, animé quelques sessions pour animateurs pastoraux. Actuellement les maisons sont ou bien inoccupées ou bien habitées par quelques utiles professeurs ou infirmiers de la place. On ne peut pas encore parler du délabrement de cet établissement, mais si on n’y prend garde, on va bientôt y arriver, car la nuit plane sur le Centre.
9.1.2. L’HISTOIRE DE L’ELEVAGE A KAPANGA
Nous ne pouvons parler de Père Arnold sans penser à l'élevage des bovins.
Depuis le temps des franciscains, l’élevage a toujours constitué une activité essentielle à coté de la culture dans la vie quotidienne des missionnaires. En 1972, le Frère IANKEES a encore entretenu quelques vaches sans vraiment y accorder une grande importance.
Après son départ, ces vaches ont commencé à crever l’une après l’autre. C’est déjà à cette époque-là que le Père Arnold a commencé à marquer un certain intérêt à l’élevage des bovins. Il s’est instruit lui-même avec un livre que lui avait prêté un certain Monsieur SEGADAES (aujourd’hui agent de COTOLU à Kasaji). Tout de suite, il se rendit compte que ce n’était pas du temps perdu. On pouvait exploiter avec profit ce domaine-là. Mais pour le Père Arnold, il a fallu attendre 1985 pour être libéré totalement et s’adonner entièrement à la pastorale des vaches. C’est le Père IAN SCHREURS, alors Supérieur Provincial, qui lui autorisa de bien vouloir débuter la nouvelle activité d'élevage : Père Arnold accepta volontiers l’offre.
En août 1986, il constitua son premier troupeau avec une sélection venue de Mubinza, au Kasaï. Il y avait alors 26 génisses et un taureau. Plus tard, un deuxième troupeau arriva avec 24 génisses et 2 taureaux : ce qui porta le nombre des têtes à 53, cette année-là.
Depuis lors, la population bovine ne fera qu’augmenter d’année en année grâce aux soins de l’autodidacte-éleveur, qui devint un féru du domaine. En 1986, le Père s’installa à Karadany, dans la zone de Kapanga, un village situé sur la route entre Musumba et Kalamba. Il y rencontra mille et une difficultés venant de la Collectivité Mwant Yav. Le pasteur leva sa tente et marcha, à la recherche des terres plus hospitalières : c’est la collectivité de Muteba, dans la zone de Sandoa qui lui offrit les espaces recherchés. Il campa à KASOMBIJAN à 70 Km de Sandoa, en retrait de 7 Km sur la route de Kapanga-Sandoa. Le Père remarqua que c’était sa terre promise pour y installer définitivement sa ferme : on commença à construire en dur quelques bâtiments. Aujourd’hui ce projet fait la fierté des salvatoriens. La ferme s’épanouit dans les espaces verdoyants de la rivière Randu, plus de 700 têtes marchent majestueusement à travers la savane sous le regard envieux de quelques lions voraces qui disputent parfois au Père la précieuse proie.
9.2. LE PERE MARTIN KOOPMAN
Arrivé en 1961 dans la mission de Kapanga, le Père Martin a d’abord habité durant quelques mois à Musumba avant de rejoindre la Communauté de Ntita. Dans ses premières années, il fera la pastorale de brousse en parcourant les villages de la Nkalany (Mutombu-a-Chibang, Yombo, Ntembo, Kalamb…).
A partir du moment où il va se fixer dans le village de Kapanga en 1965, il ne voudra plus se séparer de cette paroisse-chérie. C’est là qu’il sera à l’école de la culture lunda. Il s’y enracina tellement qu’il fut investi chef SAMBAZ, à l’instar de son compatriote hollandais Frère Henri SAMWAN de Kalamba. Il vivra dans ce village jusqu’en 1980, date à laquelle il fut muté à Kalamba y rejoindre Frère Henri. Mais son cœur est resté à Kapanga. Huit ans après son exil de Kalamba, il fut joyeux de retourner dans son ancienne paroisse à Kapanga où il vit encore (seul) jusqu’aujourd’hui. C’est avec larmes aux yeux qu’il s’arrache à ce village, pour prendre quelques rares vacances en Europe : « S’il ne dépendait que de moi, nous confia-t-il un jour, je n’irais plus jamais en vacances en Europe ». Pour le Père Martin, les jours se succèdent alors l’un après l’autre, et ils se ressemblent tous : à part les messes, le vin de palme (le chikur), quelques réparations des appareils électriques et électroniques, sont parmi ses meilleures occupations. Oh ! Qu’il aime aussi à capter les messages des avions qui passent au-dessus de sa tête. Papa Mike est son appellation codée. A chacun son petit beau patelin !
9.3. LE PERE JOSEPH CORNELISSEN
Cette humanité que d’aucuns vilipendent souvent contient parfois des beautés morales insoupçonnées. Dans ce récit consacré à Père Joseph, affectueusement appelé Jef, nous allons remarquer combien l’homme, ce néant, recèle de grandeur, de quels élans de générosité il est capable, de quels merveilleux dévouement il peut être l’auteur. Pendant près de 30 ans de vie missionnaire à Kapanga, Jef a posé beaucoup de beaux gestes de magnificence et de don de soi.
Volonté douce mais inébranlable, le Père Jef sait allier bienveillance et fermeté.
Venu du village de PEER, dans les gras vergers de la Flandres en Belgique, le Père commence son apostolat à Kapanga en 1964. Interviewé aujourd’hui, le 20 novembre 1991, nous refaisons à l’envers le chemin parcouru par ce missionnaire. Beaucoup d’événements sont aujourd’hui givrés par l’âge ; les plus marquants cependant reviennent tout doucement à la mémoire.
Dès son arrivée, le Père est nommé Directeur d’école et d’internat à Ntita. Quelques mois plus tard, il entre dans la pastorale. De fait, son véritable domaine, c’est la paroisse. En 1966, il est envoyé à Kolwezi pour apprendre la langue swahili et revenir à la mission de Sandoa en 1967. Il y trouve un des doyens des franciscains de cette époque, le Père Marcel VAN IN, prêt à déménager et céder la place aux savatoriens, comme ce fut le cas en 1955. Le Père Marcel n’avait pas de chance avec les salvatoriens, avait-il lui-même lancé avec humour (cfr chapitre des franciscains, première partie, Chap III) . Au bout de 5 ans, en 1972, le Père Jef retourne à Kapanga et retrouve la terre de sa première alliance. C’est là que l’attendaient les grands événements de son destin.
9.3.1. DIFFICULTES A MUSUMBA AUTOUR DU SACRE DE SON EXCELLENCE MGR FLORIBERT SONGASONGA.
Le 24 aout 1974, la ville minière de Kolwezi avait revêtu sa plus belle robe, chants et musiques annonçaient l’accomplissement d’un événement grandiose : le Sacre de Mgr Floribert Songasonga au THEATRE DE LA VERDURE de la cité Gécamines Kolwezi. Cet événement inaugurait le début d’une nouvelle ère dans le Diocèse de Kolwezi : une église aux couleurs véritablement locales était entrain de naitre.
Mais le remplacement de Mgr KEUPPENS par Mgr Songasonga ne se fit pas sans heurts. En pareilles circonstances, les attentes sont multiples, les pronostics sur l’éventuel bienheureux successeur au Siège Apostolique de Kolwezi couraient à travers les rues de Kolwezi, mais aussi et surtout à Kapanga. Visant Mgr Nawej Michel, alors Vicaire Général du Diocèse de Kolwezi, on se disait : « Ne serait-ce pas ce digne fils, natif de Kapanga qui passerait Evêque de Kolwezi ? ». A Musumba, où le Père Joseph était Curé, ce souhait se vivait comme une réalité accomplie : on attendait cet événement dans une foi infaillible, c’est ce qui fut le drame du nouveau curé qui n’avait qu’à peine deux ans à Notre Dame de Fatima de Musumba. En effet, voilà qu’au moment voulu, il plut à Rome de nommer Monseigneur Floribert Songasonga, évêque de Kolwezi, au grand dam de celui que tout le monde attendait à Kapanga.
Les réactions ne se firent pas attendre dans la capitale de l’Empire lunda : en signe de protestation contre l’Eglise des Pères, les fidèles coupèrent les cordes des cloches de Notre Dame de Fatima pour empêcher d’appeler les gens au culte. Certains instigateurs couraient dans le village pour contre carrer le mouvement de ceux qui quand même pensaient se rendre à la prière paroissiale. On se mit à injurier le Père Joseph et à le bouder. Quelle était donc la logique qui était à la base de la grève déclenchée contre l’Eglise et spécialement contre les Pères salvatoriens ? Selon la population de Kapanga, les prêtres expatriés ont une grande influence sur les nominations des Evêques, ce sont eux qui ont écarté certainement la candidature de Mgr Nawej à l’épiscopat. On vit alors des enseignants fanatiques soutenir sans scrupules ce mouvement de contestation. Un climat malsain se développa dans la paroisse, tout apostolat devint impossible pour le Père Joseph dont les nerfs allaient craquer. L’unique solution, nous raconte-il, fut pour lui de se retirer en Europe. Il y passa un congé prolongé de dix mois.
C’est alors que le Père Paul fut désigné pour remplacer le Père Jef à Musumba. La situation n’évolua point positivement : Joseph ou Paul ; c’est pareil ! Le Père Paul raconte qu’il ne rencontra qu’indifférence, moquerie et plaintes. Il raconte :
« Un mercredi soir, j’ai déménagé pour habiter à Musumba déserté par le Père Joseph. Je croyais que je serais mieux accueilli et que j’y ferais longtemps en attendant le retour de Père Jef. A mon arrivée, personne ne me dit mot. Je m’encourageai à persévérer dans mon dévouement. Mais chaque matin à la sortie des messes (qui avaient quand même repris), les fidèles disparaissaient chacun d’où il était venu sans sacrifier à la politesse des salutations matinales au Père, comme jadis. J’ouvrais grandement la porte de mon bureau espérant même une traitre visite d’un chrétien repenti, en vain ! Le soir j’essayais de rejoindre les gens dans leur famille, accompagnée par le fidèle catéchiste Mases Marcel. Je me sentais un intrus. Je vis que c’était ridicule de rester au milieu des mécontents et boudeurs chrétiens. Trois mois après, j’ai repris mon apostolat des villages de brousse où je me sentis enfin utile à quelque chose » (Père Paul, interview du 12 janvier 1992)
Le 15 septembre 1974, le Nouvel Evêque effectuait sa première visite dans la capitale de l’Empire lunda, à Musumba. Quel accueil y trouverait-il ? La population était-elle déjà revenue aux meilleurs sentiments ? Le Père Paul nous explique que le Mwant Yav MBUMB avait dû, au préalable, convaincre son peuple du mouvement irréversible de cette nomination dans l’Eglise catholique, les manifestations hostiles ne changeraient rien à cette nouvelle donne historique du Diocèse de Kolwezi. Il fallait accepter la situation présente sportivement et réserver au Nouvel Evêque l’accueil qui soit digne de son rang, avait déclaré l'empereur des lundas à ses sujets. Effectivement le message fut bien accepté : le jour venu, Musumba accueillit dans la liesse et les chants l’homme de Dieu. On dirait que personne ne se souvint plus de l’emportement d’il y a quelques temps. Monseigneur débarqua à Musumba d’un pas décisif, ovationné et couvert des ‘tulabul’ (cris de joie) qui fusaient de toute part. Et dans la bousculade d’une foule électrisée par les chants religieux chaudement exécutés, Musumba avait ressemblé ce jour-là à Jérusalem accueillant son Messie à coup des rameaux.
9.3.2. LES AUTRES DEFIS
Après dix mois de congé en Europe, le Père Joseph revint enfin pour de nouveaux combats et nouvelles surprises de la vie. Il va travailler longtemps dans la Capitale de l’Empire, les messes se succédant aux autres et les œuvres de charité se multipliant à longueur des années. Ce faisant, le Père gagnait de plus en plus la confiance des ouailles lui confiées. Les vieilles mamans et les autres indigents trouvaient auprès de lui le réconfort dans leurs peines : le Père n’hésitait pas à distribuer un peu de sel, du savon, des couvertures et habits usagés. Il comprenait, avec remords, la souffrance de ces pauvres qui défilaient devant son bureau. Il savait aussi que ses propres moyens étaient bien limités, mais il ne pouvait congédier toujours, mains bredouilles, ces nécessiteux aux abois. Des années s’écoulèrent ainsi dans le même dévouement quotidien aux visites à rendre aux chrétiens à leurs humbles domiciles, aux sacrements à administrer. C’est toute la période des années 70 qui y passa. Et parfois, il se rendait en vacances dans sa chère Europe pour se ressourcer à tout point de vue ; quand il revenait c’était le délire parmi la population. La scène de retour à Musumba vaut bien la peine d’être contée :
Les fidèles qui sont à l’avance informés du retour prochain du Père, préparent fiévreusement l’événement. Au jour fixé, ils se mobilisent pour acclamer leur curé. Depuis l’entrée du village, dans le fief des méthodistes, la foule est rangée : kiros , chantres, légionnaires, élèves et autres insouciants badauds, chrétiens anonymes tous attendent impatiemment, les oreilles au vent pour saisir un éventuel vrombissement de moteur… Enfin le moment est arrivé, le véhicule est là, des airs de musique s’élèvent alors de la foule compacte et l’on chantait l’une de ces belles mélodies lunda : « Joseph wa mend ma mikindu/Mud manguj ma ku chis/Riyo, riyo, Joseph waswej riy ». Ce qui veut dire, Joseph aux jambes solides comme des roseaux, on dirait des piliers d’une porte. Joseph excelle en pitié. Ou encore, écoutons ces mamans légionnaires qui agitent des rameaux en scandant : « Wezaku tatuk ! washik mwingand yey », « Bienvenue, Père, bienvenue sur ton sol ». Le parcours était tracé à l’avance, blanchi au son de farine de manioc. Le cortège se dirigeait ainsi vers la paroisse catholique de Musumba située sur le dibur, au coeur de la cité de Musumba et le Père Joseph, peu apte au rythme cadencé des mélopées africaines marchait tant bien que mal en essayant d'incarner son nouveau rôle de Fils de David accueilli à Jérusalem.
Mais ces genres d’accueil ne plurent pas toujours au Grand Chef MWANT YAV. Ca lui devait être, estimait-il, réservé. On demanda aux chrétiens catholiques d’être plus discrets dans leur façon d’accueillir les missionnaires et même l’Evêque. Cependant, on n’a jamais réussi à éteindre la spontanéité de la joie du peuple lunda qui reçoit ses hôtes religieux.
9.3.2.1. RELATIONS MISSION CATHOLIQUE ET PALAIS IMPERIAL
Il est à noter qu’à part le MWANT YAV MUSHID (1967 – 1969) qui fut catholique, tous les autres Empereurs ont toujours été des méthodistes. Malgré cela, le Palais a souvent entretenu de bonnes relations avec la mission catholique. Ce qui est important pour l’Empereur, c'est le fait que tous les missionnaires, confessions confondues, puissent contribuer au développement de la terre lunda. Mais il serait plus réaliste de dire que les relations entre la mission et le Palais étaient au beau fixe ou perturbées, selon les personnes et selon les circonstances. Tel Mwant Yav mériterait les éloges des missionnaires, tel autre, pas du tout. Tel prêtre est un as pour le Grand Chef, tel autre passe inaperçu, un troisième s’accrocherait avec lui, ainsi va la vie. Par exemple, certains missionnaires ont été élevés au rang de notable de Mwant Yav (A yilol a Mwant Yav) : le Frère Henri de Kalamba devint Samwan avec comme femme symbolique Nakabamb ; le Père Martin de Kapanga devint Sambaz, avec comme femme symbolique Nambaz ; quant au Père Joseph, le Mwant Yav lui attribua un titre de notabilité qu’il refusa et le céda à son propre frère de l’Europe. De part et d’autre donc, on se ménageait pour entretenir de bonnes relations.
Les missionnaires étrangers pouvaient exhiber en Europe, avec fierté leurs titres coutumiers honorifiques, signe de la confiance qui leur a été témoignée sur le sol lunda, signe aussi d’une intégration certaine dans la culture des enfants de RUWEJ. Les Grands Chefs, successivement de leur part sont satisfaits d’avoir apprivoisé ces partenaires occidentaux, capables de vous faire bénéficier d’une technologie utile pour transformer toute une vie.
Mais, il y a eu aussi des heurts quand Mwant Yav et missionnaires ne parviennent pas à accorder les violons. Le missionnaire sait qu’il doit, malgré tout, préserver sa liberté d’apôtre de Jésus Christ et prêcher à temps et à contre temps la Bonne Nouvelle sans compromission. C’est l’histoire malheureuse qui est arrivé entre Mwant Yav MBUMB et le Père Joseph en avril 1981. Quelques années auparavant, les prêtres catholiques ont enregistré des plaintes de la population extorquée tout le temps par le Grand Chef qui leur imposait des taxes exagérées. Les amendes créées de toutes pièces se multipliaient. Ne pouvant fermer les yeux sur ces exactions, les prêtres intervinrent aux cotés de la population exploitée : par des sermons dominicaux, ils conscientisaient les gens ; et le Père Jef, quant à lui, alla plus loin en informa l’autorité régionale, citoyen le Gouverneur de la Région du Shaba de ce qui se vivait à Musumba. Pour le Grand Chef, le Père Joseph venait ouvertement de déclarer la guerre, il ne fallait plus reculer.
Une bonne fois, le Grand Chef revenait de Kinshasa, il s’est arrangé pour atterrir en hélicoptère sur la Grand Place de Musumba, espérant un bain de foule qui remonterait sa cote de popularité. Mais, hélas ! La population lunda tournait le dos à ce gros oiseau qui rappelait les heures sombres de la guerre de 80 jours. La population n’était-elle pas informée de l’arrivée du Mwin- Mangand (un des titres du Mwant Yav signifiant : Celui à qui appartient tout l’univers) par hélicoptère ? Si oui, il était informé, pourquoi dès lors ce signe de désintéressement à celui qui jadis était acclamé comme un dieu ? l’Empereur avait-il compris ce geste du peuple ? Toutes fois, il ne fut pas content de l’accueil lui réservé. Dans son discours au Palais, il s’en est pris vertement aux prêtres catholiques, ses détracteurs qui, selon lui, intoxiquaient le peuple avec des propos discourtois envers le Grand Chef des lundas. Le Père Joseph me rapporte qu’il ne montra aucun intérêt à répondre à ce discours, il ne se tracassa outre mesure. Cette attitude décontenança davantage le Grand Chef. Mais il ne pouvait encore rien faire, il fallait attendre une bonne occasion. Et le jour arriva. C’était un dimanche de Pâques, quand le conflit éclata. A l’origine, un fait anodin d’un message phonique remis au Grand Chef sans le mettre sous enveloppe. Le Grand Chef répliqua immédiatement en envoyant deux policiers reprocher aux Pères leur manque de courtoisie. Et sans aucune autre forme de procès, un catéchiste et des chrétiens proches des Pères sont pris en otage au Palais, ils sont matraqués, rudoyés…Il s’agit du catéchiste MUTIY, de Ndebel et de Way Way.
Le Père Joseph qui était invité à une fête de première communion dans une famille à Musumba y perçut de nouveau une provocation, il garda une fois de plus son calme. Tandis que la Père Paul ne toléra point cette intervention brutale du palais sur l’innocent catéchiste. Il fallait faire quelque chose pour l’infortuné Mutiy. De Ntita où il se trouvait, Père Paul décida d’aller à Musumba pour se rendre compte de la situation. Le Père venait de stationner sa Land Rover devant la Paroisse Notre Dame de Fatima quand, très vite, un policier de la cour impériale vint se planter devant le véhicule : « Fini, dit-il au Père, vous ne pouvez plus bouger ». C’est là que le Père Jef appelé à la rescousse vint intervenir énergiquement en bousculant le policier devant la foule ébahie. Le Commissaire de Zone arriva sur les lieux échauffés. Avec le concours des militaires et de la foule elle-même, on libéra non seulement les otages chrétiens Mutiy, Ndebel et Way Way mais aussi les autres prisonniers détenus dans le cachot de la Collectivité Mwant Yav. Ce jour-là, le Grand Chef fut exposé à la risée de toute la population, il fut hué et chahuté par la population à cause de son comprtement souvent décrié.
Les relations entre la mission et le Palais furent gelées, il faudra attendre plusieurs mois avant de voir le ciel s’éclaircir entre les deux pouvoirs.
9.3.2.2. LE PERE JOSEPH ET LA GUERRE DE 80 JOURS
« La vertu est infatigable ».
Le 08 mars 1977, éclatait dans la Sous-région du Lualaba la guerre qu’on a nommée plus tard ‘Guerre de 80 jours’. Elle était menée contre le régime de Mobutu par des anciens gendarmes Katangais réfugiés en Angola depuis 1963. Ils retournaient en force sur le sol de leurs ancêtres. Ils attaquèrent simultanément les zones de Dilolo, Sandoa et Kapanga et mirent en déroute les forces de l’armée régulière de Mobutu.
Lorsque la guerre éclata à Kapanga, le Père Joseph s’était rendu à Kateng, village situé à 18 Km, au nord de Musumba, avec la chorale paroissiale KUSENG. Rentré à la cure de Fatima, il trouva bel et bien les gendarmes Katangais éparpillés partout dans le village. Les temps n’étaient plus sans doute à la rigolade, mais il ne fallait pas encore s’alarmer. En effet, en ces premiers jours de l’occupation rebelle, il ne se manifesta point une quelconque allure de brutalité et de violence envers la population et envers les missionnaires expatriés : les gendarmes Katangais se montrèrent disciplinés et respectueux. Mais toujours est-il qu'ils ne manquaient pas leur rendez-vous inopportun de mendicité quotidienne à la mission Ntita, à la Paroisse de Musumba et chez les Américains à la mission méthodiste Kayek. Il ne fallait pas trop résister à leur rendre l’obligatoire charité… Entre temps, sur le terrain de combat, les forces Katangaises progressaient de succès en succès vers Mutshatsha, et qui sait, allaient-elles bientôt conquérir Kolwezi, et puis Lubumbashi, objet de leurs rêves ! Cet espoir s’estompa lorsque, après un combat acharné dans la plaine de Kamoa près de Kanzenze, les rebelles s’agenouillèrent devant la puissance marocaine de feu venue à la rescousse de l’armée zaïroise. L’heure de la débandade dans les rangs des rebelles Katangais avait sonné. A partir de ce moment, le calvaire allait commencer à Kapanga. Les gendarmes libérateurs se transformèrent en farouches pillards. C’est dans ces circonstances que le médecin méthodiste américain ESTRUFF fut assassiné par eux, le 19 mai 1977 près du village MWANA-KAJ sur la route Sandoa-Kapanga. Il était accusé de détenir des appareils radiophoniques avec lesquels il communiquait avec les forces gouvernementales. Quant aux prêtres catholiques, qui étaient la plupart des belges, ils étaient tenus à l’œil. Il n’était plus permis au curé de Musumba de circuler encore comme aux premiers jours de l’occupation où il pouvait rendre visite à ses confrères de Ntita ou à ses ouailles. Les rebelles venaient de perdre la guerre, ils devaient se retirer de nouveau en Angola d’où ils étaient venus. De gré ou de force la population devait les suivre en exil. Les missionnaires catholiques et méthodistes, unis cette fois-ci par les circonstances tragiques, dénoncèrent cette déportation forcée de la population, dans une lettre qu’ils adressèrent au Délégué de l’ONU à Kinshasa en date du 05 juillet 1977. Ils écrivirent ce qui suit :
« Ils (les rebelles) avaient des instructions bien précises, entre autres, emmener bon gré, malgré, le plus grand nombre possible des gens de l’autre coté de la rivière Kasaï sur territoire angolais pour avoir une preuve éclatante que le Régime au Zaïre est insupportable… Les rebelles accompagnaient la foule et la dirigeaient où ils voulaient : direction Angola ». (Archives de la Paroisse de Musumba)
De l’avis de beaucoup, il s’agissait là d’une lettre de ressentiment contre les rebelles suite à des situations pénibles endurées par les missionnaires, car le Régime Mobutu n’était pas défendable. Et puis la population elle-même explique que beaucoup de gens avaient peur des représailles de l’armée de Mobutu qui considérait tous les lundas et les chokwe comme des rebelles. Le ‘Kamanyola’ (soldat de Mobutu) est sans pitié : il pille et tue sur son passage.
Dans le combat final, avant le retrait des rebelles en Angola, la date du 19 mai 1977 fut très tragique pour l’armée zaïroise : c’est le jour où gendarmes Katangais et militaires zaïrois s’empoignèrent dans un combat extrêmement sanglant à Kateng, au nord de Musumba. Les Katangais avaient tendu aux ‘Kamanyola’ une embuscade, beaucoup de ceux-ci y laissèrent leur vie. Mais pour l’armée zaïroise, alea jacta est, il ne fallait plus reculer, elle reprit très vite le dessus pour bientôt s’avancer vers le front de Musumba. Les larmes aux yeux, la mort dans l’âme, il fallait affronter l’équation Musumba à 18 Km du lieu de l’hécatombe. Dans la Capitale de l’Empire, de fait, les rebelles jouaient encore leurs dernières cartes. Les missionnaires vécurent des moments difficiles. Le Père Joseph n’a pas oublié ces jours de danger permanent. Il nous raconte :
« Avant leur départ, les rebelles sont venus chez moi, non plus en amis, cette fois-ci. Ils me demandèrent de leur donner des vivres et des habits. Ils étaient étonnés que je sois si démuni. – Vous n’avez que ça ? Où avez-vous caché d’autres habits ? Gare à vous !
- Je ne possède pas grand-chose, je n’ai que ça. M’enfin, j’ai encore, si vous voulez, une veste à la mission de Ntita.
- On va la chercher, cette veste, retorquèrent les rebelles.
Alors ils embarquèrent le Père sur leur jeep décapotée pour aller chercher ce dernier trésor à Ntita. La population qui voyait cela, n’augura rien de bon pour l’infortuné missionnaire, on le conduisait certainement à sa mort. C’était le 20 mai 1977. Mais à Ntita, la situation que le Père Jef (qu’accompagnaient ses ravisseurs) trouva était autant tendue : on lui raconta que le Père Paul, le Père Jacques et les sœurs larmoyantes étaient tous faits prisonniers des rebelles et conduits à Musumba à l’hôtel de la Paix. Plus tard, ces missionnaires rapporteront le récit du calvaire qu’ils y avaient vécu dans cette nuit du vendredi au samedi 21 mai. Les rebelles décidèrent de les emmener de force en Angola. Les Pères Paul et Jacques se virent obligés de payer une rançon pour leur liberté. Alors les ravisseurs renoncèrent à leur projet et les Pères purent rentrer à leur Mission. Pendant la nuit du samedi au dimanche 22 mai 1977, s’opérait la fuite des rebelles. Les missionnaires s’étaient terrés regroupés tous au couvent des sœurs. La Sœur Elise, propre sœur à Père Stevens Arnold et Piet, fut tellement traumatisée par ces événements qu’elle finit par perdre la tête. Mais rien de malencontreux n’arriva pendant cette longue nuit d’angoisse et de tous les dangers. Le lendemain matin, le Père Jef put déjà regagner sa paroisse de Musumba. Les rebelles étaient bel et bien partis tous.
Les zairois étaient à la porte de ce grand village déserté par sa population timorée. Il fallait anéantir ce repaire de rebelles, pensèrent les militaires de Mobutu encore sous le choc de l’embuscade de Kateng. Une pluie d’obus s’abattit sur le village, des avions de chasse de type Mirage déversèrent leur cargaison de bombes. L’assaut final était visiblement lancé. Puis un calme relatif s’en suivit. Le Père Jef était une de ces rares âmes qui respiraient encore à Musumba. On attendait une deuxième pluie des bombardements. L’épée de Damoclès pesait lourdement sur le village. On me détruira la Paroisse en même temps que le village, pensa le Père Joseph, il faut intervenir. Le Père décida d’entrer en jeu : il doit affronter le Kamanyola là où il se trouvait busqué, dans le maquis de la rivière RUPEMB. Il osa un acte de bravoure. Le voilà bientôt engagé sur la route de Kazol d’où venait le danger, avec sa mobylette et un drapeau blanc y attaché. Il espérait convaincre les Zaïrois d’entrer à Musumba sans trop de casses. Sur sa nerveuse kadap-dap (mobylette en langue lunda) qui emplissait de ses bruits le village silencieux, le Père partit à la rencontre des militaires de l'armée régulière. De temps en temps, un frisson d’angoisse le secouait ; il voyait défiler l’une après l’autre les maisons de sa chère paroisse, les reverrait-il encore ? Ce n'était pas certain. Il vivait-là, peut-être ses derniers jours sur terre. Il entre dans une voute des manguiers, les derniers arbres avant la menaçante rivière RUPEMB… et puis, hop !
- Stop-là, et mains en l’air, lui cria une voix.
Du coup, le Père était entouré des tuyaux de la mort. Musumba et sa Paroisse étaient maintenant bien loin, à 3 Km. Il fallait vivre la réalité présente et rassembler tout son courage. Instinctivement, le Père osa balbutier quelques mots :
- Hé ! Mes amies la guerre est finie, les rebelles ont tous fui de Musumba, FAZ OYEE !
Paroles magiques qui décrispèrent sur le coup la situation, les militaires se détendirent un peu, mais brusquement, prudence exige, un officier lança un cri d’alerte. Chacun reprit sa position initiale. Le Père fut conduit s’expliquer devant l’Officier – Commandant et déclina ses identités. L’Officier répercuta les informations par radiophonie à Kolwezi. Quelques moments s’écoulèrent. On annonça sur place l’arrivée d’un Général. L’hélicoptère qui l’emmenait atterrit quelques instants plus tard. On donna l’ordre au Père de faire demi-tour et repartir à Musumba.
- Non, repartit le Père, je préfère que nous avancions tous ensemble.
Le Père fut pris en otage pour le cas où il voudrait jouer au traitre. Avec prudence, suspicion, agilité et tactique, l’armée de Mobutu fit son entrée enfin dans la Capitale des lundas. Et on laissa partir le Père, notre héros qui, ce jour-là avait joué vraiment un cinéma périlleux et plein de suspens.
La guerre contre les rebelles était terminée, celle contre la population allait alors commencer, avec l’éternel refrain qu’elle devait continuellement entendre : ‘Bino ba rebelles’ (Vous les rebelles !). Des monstruosités vont se commettre contre ces inoffensifs civiles restés à Kapanga. Les couvre-feux seront des occasions des persécutions sans précédent. Maintes fois, le Père Joseph devra de nouveau intervenir auprès des officiers de l’Etat-major pour obtenir la libération de certaines victimes innocentes. Il y eut beaucoup de condamnations à mort ; et parfois, rapporte le Père, l’intervention des missionnaires était vaine. C’est le cas, par exemple du Directeur de l’école Primaire de Kambundu, Monsieur KAPEND MEDARD : il possédait un agenda personnel dans lequel il retraçait les événements de la guerre, jour après jour. Saisi avec ce document, il fut jugé de suspect. Transféré à la prison de Buluo près de Likasi, il fut exécuté sans aucune autre forme de procès.
Kapanga n’avait jamais connu l’armée. La voilà arrivée, et cette fois-ci, elle s’y installa définitivement. Les tiraillements entre les civiles et les militaires ne cesseront plus jamais. Le curé de Musumba sera toujours sollicité comme avocat de son peuple.
Père Joseph aura bientôt trente ans de vie missionnaire au Zaïre. Le gros de cette vie, il l’aura écoulé dans notre chère mission de Kapanga. C’est en 1989, après son séjour de quelques années à Sandoa et à Kalamba, qu’il est revenu à Ntita pour commencer une nouvelle Communauté sacerdotale avec le Père Paul Wey, l’Abbé Alain Ket et Patrick Neys, un jeune stagiaire belge. C’est là que nous avons découvert cette forte personnalité de Père Joseph CORNELISSEN. Il n’en est pas encore à ses dernières cartouches.
ANNEXES
EXCURSUS : LES ANNEES 70 ET L’EGLISE CATHOLIQUE
Le 15 aout 1974, le Mouvement Populaire de la Révolution (M.P.R) est institué en Parti-Etat. Cela entraina des conséquences incommensurables pour l’Eglise. Les années de 1971 à 1989 sont comme un caillou dans la mémoire de notre Eglise : ce sont des années où l’Etat zaïrois connaît des conflits interminables avec l’Eglise Catholique. L’Etat ne jure plus que par l’authenticité. Le clergé et les hommes politiques zaïrois s’affrontent régulièrement à différents échelons. L’illustration du sommet est celle du différend acre qui opposa le Cardinal Joseph MALULA au Président de la République Joseph MOBUTU. Le Président voulait réprimer avec force tout ce qui le contrariait. C’est le cas notamment des prises de positions de l’Eglise. Ainsi, pour lui priver de toute ascendance sur la jeunesse, les écoles et les Mouvements de jeunesse (scouts, Kiros etc.) lui furent soustraits le 29 novembre 1972. Tout le monde devenait membre du M.P.R .Et on clamait : Olinga, olinga te ; ozali na M.P.R. (Que tu le veuilles ou non tu es dans le M.P.R.). On décida de proscrire l’enseignement de la religion dans toutes les écoles au Zaïre ; à la place, on enseignerait le mobutisme, on arracha les croix des murs des classes… Avant de commencer les cours dans les écoles, on s’attardait d’abord à chanter la louange du Guide Mobutu et à danser. Même les plus hauts cadres dans les Entreprises devaient se trémousser au rythme de SAKAYONSA avant le travail : Le MPR avant tout, le reste après. C’est le slogan que tout le monde devait mettre en pratique. Dès le 15 février 1972, les prénoms chrétiens furent bannis.
La terreur, les injustices, l’exploitation du plus faible que soi, l’obscurantisme, le culte de la personnalité, la corruption, les détournements, le trafic d’influence, le népotisme voilà le lot des maux qui accompagnèrent la politique du monopartisme de Mobutu.
L’Eglise ne se laissa pas museler. Colette BRAECKMANS dans son ouvrage Le Dinosaure. Le Zaïre de Mobutu, à la page 175 écrit : « Le plus coriace adversaire de l’authenticité présidentielle, de sa dérive vers le culte de la personnalité et de ses injustices sociales fut l’Eglise Catholique ». A temps et à contre temps, l’Eglise continuera à prêcher sans crainte la Vérité de l’Evangile, certains Evêques publieront des lettres pastorales dans lesquelles ils dénigrent la politique corrompue du Régime en place. Malgré l’interdiction du cours de la religion dans les écoles, l’Eglise poursuivra son action catéchétique par les programmes de la pastorale extrascolaire. En février 1977, elle parvint à récupérer ses écoles, fortement endommagées. Il fallait reconstruire l’homme zaïrois, rééduquer la jeunesse, restaurer la morale et la religion chrétiennes, jusqu’aujourd’hui partout au Zaïre, le mal causé par ces années de folles turbulences politiques de l’authenticité mobutienne est irréparable.
9.4. LE PERE PAUL WEY FRANS (Interview 12 janvier 1992)
Le Père Paul est arrivé au Congo en mai 1966. Venant de la Suisse, il transita par la Belgique où il prit le bateau jusqu’au port de Lobito en Angola. De Lobito, il entra au Congo par Dilolo avant de rejoindre immédiatement Kapanga. Le Père Paul aime à répéter qu’il est un campagnard de naissance en Suisse : Il est fils d’un paysan d la région de Lucerne. Il est né en 1938, il avait 28 ans à son arrivée en terre de mission au Congo. Dès l’Europe, le Père s’était préparé à cet événement qui allait complètement changer sa vie : il a appris déjà le lunda en 16 leçons, il a fait connaissance avec la contrée de Kapanga par des photos, diapositives et autres cassettes des chants religieux.
Cet enthousiasme pour vite connaître la terre de son apostolat lui a permis de s’adapter facilement au milieu : « je n’ai pas eu de choc culturel, déclare – t- il ». A son ordination en Suisse, il avait même déjà mentionné sur sa carte souvenir : « PERE PAUL, MWIMPEL WA KUKALA MB ». Il vivait l’Afrique avant même d’y arriver. Il croyait qu’il travaillerait à Kalamba aux cotés de Père Albert IHLE, son ancien professeur et Père spirituel. Quand il arriva à Kapanga, on lui confia plutôt la brousse de l’autre rive de la Lulua (Ushad wa Ruruu), dans la direction opposée de Kalamba . Il se mit vite au travail à la découverte des villages congolais : « ces villages se ressemblent tous, remarqua-t-il lors de sa première visite, impossible de les distinguer les uns des autres. C’est toujours le même tableau : une route centrale, quelques chaumières, des enfants criards aux torses nus ou un vieillard qui s’étire sur sa natte devant sa case ensoleillée… ». Il visita, Chamba, Samukaz, Chibaba, Kambundu, Chibamba, Dining, Murub, Samupang, Masak, Muyej etc. Au total lors de ce premier périple, il prit contact avec 26 villages.
L’esprit de son Saint Patron Paul, allait désormais l’impulser. Il ne se limitera pas à visiter les communautés déjà fondées. Au long des années, il commencera lui-même de nouvelles communautés chrétiennes. Il a établi au total 120 villages-chapelles dont 36 couvertes des tôles. Son désir le plus ardent serait de continuer à implanter des églises en matériaux durables et en tôles, avec l’aide généreuse de la Suisse, sa chère Patrie. Mais le Père, raconte qu’il a rencontré l’opposition de la hiérarchie provinciale de sa Congrégation au Zaïre qui lui a demandé d’arrêter des actions isolées et privilégier une pastorale d’ensemble. C’est avec beaucoup de peines qu’il a cédé à cette volonté, car cette action ne se poursuivra certainement plus avec la même ampleur. Qu’importe ! Le Père poursuit l’évangélisation : il implante partout des groupes des légionnaires et des Kiros ; pendant des mois il disparaît dans les makunk (villages de brousse) prêchant, buvant et mangeant ce que la population lui sert.
Dans sa pastorale, il a une conception très large du salut apporté par le christ. Il donne les sacrements au plus grand nombre que possible y comprit aux femmes des polygames. Interrogé à ce sujet, il nous répond : « Certains hommes ont des deuxièmes femmes, surtout les chefs des villages. Ces femmes sont souvent très respectueuses et pieuses. Pourquoi ne pas les baptiser et les accepter à la Sainte Communion. Dans l’Eglise, on laisse communier les prostitués célibataires et on écarte avec acharnement des femmes sérieuses parce qu’elles sont deuxièmes femmes. Ce n’est pas normal »
Le Père vient de totaliser 25 ans de pastorale de brousse. Tel que nous l’avons dit, nous le voyons encore plus à l’aise dans ses voyages de brousse qu’à la mission de Ntita. Une fois il est tombé gravement malade, il fallait aller le récupérer en pleine brousse de Chibamba : Il eut encore le temps d’écrire, alors qu’il était sous une forte pression de diarrhée et vomissement, qu’on lui amène à cette même occasion des clous, des tôles et des tas de ferrailles dont il aurait besoin quand il serait guéri. – « Laisse tombé, dit le Père Martin au chauffeur, il faut aller vite le chercher pour le sauver d’abord du danger, le reste, on verra plus tard ». Le Père Martin avait bien raison, on le ramena à la grande Mission dans un piteux état de moribon. Bien sur, il s’impatientait de sa guérison qui ne tarda pas à venir. Et le revoilà sur la route pour rencontrer ses ouailles de la brousse. Il se plaignait toujours du temps perdu pour les voyages de ville où on avait besoin de lui à Kolwezi ou à Lubumbashi (Par exemple, pour le Chapitre provincial). Le Père Paul est devenu, selon ses propres termes, ‘un broussard enthousiaste’ : il aimerait poursuivre, jusqu’à sa mort, ce travail qui le passionne tant.
Envers la population de Kapanga et d’ailleurs, le Père a toujours manifesté un grand cœur, il ne reste pas indifférent à la misère des pauvres. Il est l’ami des indigènes qui emplissent son véhicule ou son bureau de Ntita. Le Père est généreux non seulement pour les sacrements mais aussi pour les besoins matériels des gens.
Il n’est pas seulement voyageur. Père Paul écrit abondamment dès qu’il se trouve à la mission. Ses publications parcourent les villages et leur portent les informations sur bien des points : KILU est le feuillet destiné aux Kiros, une publication pour les Légionnaires, tandis que KUVARAKAN, feuillet commencé par le Père Caris a continué sous le Père Paul transmettant les informations les plus diverses, il existe aussi un feuillet de lecture de la Bible destiné aux CEV, il a écrit des brochures d’informations diverses sur les Saints ou des brochures – Missel utilisées depuis 1977 dans la liturgie lunda à Kapanga jusqu’aujourd’hui. Il passa des heures à dactylographier : à partir de 4 heures du matin vous entendez dans sa chambre la machine à écrire crépiter.
Quant au travail manuel, c’est aussi un as, il se donne à cœur joie à cultiver le jardin. De même en pastorale à la mission, il accueille, écoute, conseille. Il lit abondamment les journaux internationaux. C’est à se demander où est-ce qu’il trouve tout ce temps
D’autre part, on est étonné par ses croyances. Il raconte des histoires farfelues des monstres et des fantômes d’Afrique ou de Suisse. Jamais vous n’allez le convaincre de ne pas y prêter foi. Voyez-le consulter sa pendule magique : il vous donne des informations et des messages ésotériques, y compris ceux du ciel. Un jour il parvint à guérir un enfant maladif par cette procédure-là : dans un entretien qu’il eut avec la mère de l’enfant, il la conseilla sérieusement de changer tous les noms de l’enfant ; car, fit remarquer le père Paul l’enfant portait les noms d’un ancêtre méchant. La mère s’exécuta, et l’enfant s’en trouve définitivement guéri. C’est avec sourire aux lèvres que j’écoutais raconter le Père HELVETIQUE ce que je qualifiais comme « des contes des fées
CONCLUSION
A l’instar de son sain Patron de Tarse, le Père Paul a su mettre en symbiose sa plume facile et son amour pour les voyages missionnaires à travers la zone de Kapanga.
Son œuvre se poursuit ...
5. LES AUTRES PRETRES DES ANNEES 70 ET 80
Après les années 1960, l’Europe n’envoya plus beaucoup de nouveaux prêtres à KAPANGA. Pour les deux décennies de 1970 et 1980, on enregistra l’arrivée de deux missionnaires seulement : Père Jacques HENKENS et Père Ian SZCPILKA.
9.5. PERE JACQUES HENKENS
C’est un belge arrivé en 1974 et ordonné prêtre en 1976 à la mission Ntita. Dès son arrivée, il se mit sérieusement à l’apprentissage de la langue lunda et à l’intégration dans cette culture. C’est ce qu’il va réussir à faire. Il parlera assez parfaitement le lunda et même il se sentira désormais capable de se lancer dans la traduction de la Bible en lunda ensemble avec le Pasteur méthodiste américain WOLFORD et une équipe des nationaux. Les catholiques devaient plutôt beaucoup plus s’occuper des livres Deutéro –Canoniques. Le Père travaillera longtemps à Kapanga, il sera successivement Curé à Ntita, puis à Musumba. Grace à son savoir-faire en mécanique et électricité, il rendra des services remarquables dans les deux paroisses où il a travaillé à Kapanga. Il construisit entre autre, une petite centrale électrique sur la rivière Raz pour éclairer la mission Ntita. En 1989, il fut transféré à Kolwezi.
9.6. PERE IAN SZCPILKA
C’est un polonais arrivé à Kapanga en 1980. Après avoir parcouru les Communautés chrétiennes de l’autre rive de la Lulua, il fut nommé Curé de la Paroisse de Kalamba. C’est là qu’il travaille encore jusqu’aujourd’hui.
Alain Kalenda Ket
8.1. LA POLEMIQUE DES FRONTIERES : ZONE DE KAPANGA – REGION DU KASAI
L’arrivée des Salvatoriens à Kapanga coïncide pratiquement avec l’accession du Congo à son indépendance en 1960. Nous connaissons tous les conditions dans lesquelles se sont déroulés les événements de cette accession. Le pays s’est retrouvé dans une situation politique chaotique. La confusion régnait partout : partis politiques et troupes rebelles se sont entre-déchirés. Moise Tshombé, un fils de Kapanga, fait grande figure sur l’échiquier de la politique nationale congolaise : il est Président de l’Etat proclamé du Katanga, il est ensuite Premier Ministre de la République Démocratique du Congo…
Ses soldats, reconnus sous l’appellation de « Gendarmes Katangais » sont vaincus par les forces de l’O.N.U en 1963 et se réfugient en Angola voisin. Ils resteront une force irréductible et une menace permanente du régime de Mobutu qui venait de prendre le pouvoirr au Congo à partir de 1965. Les rebelles Katangais attaqueront le pouvoir de Mobutu une première fois, en 1977, lorsqu'ils feront une incursion sur le territoire zaïrois du Sud-ouest (Kapanga, Sandoa, Dilolo) ; puis une deuxième fois, avec la prise de la ville de Kolwezi en mai 1978. Mais Mobutu résista aux assauts des assaillants.
C’est dans ce climat de crise perpétuelle que vont œuvrer les nouveaux missionnaires de Kapanga. Dans le domaine de la liturgie, nous sommes à l’heure du Vatican II, c’est-à-dire, l’heure des réformes. Le latin s’éclipse peu à peu pour permettre le développement liturgique des langues locales : chants et prières en lunda…
C’est aussi l’époque des premières ordinations sacerdotales des fils lundas, fruits de l’apostolat franciscain : l’abbé Michel NAWEJ (1960) ; l’abbé Christophe REMB (1964) ; l’abbé Paul MBANG (1965).
Quelques années après l’arrivée des Salvatoriens à Kapanga, ils furent confrontés au problème des frontières entre Kapanga et le Kasaï.
Les lundas du Nord-est de Kapanga (Nkalany) se sont retrouvés souvent ballottés entre la zone de Kapanga et la région du Kasaï. A quelle circonscription ecclésiastique appartenaient les chrétiens de Mutomb-a-Chibang, de Yombu, de Kambamb, de Nkalany ? Ils étaient évangélisés tantôt par les missionnairesdu Kasaï, tantôt par les missionnaires de Kapanga. Et pourtant, eux-mêmes, étant des Lundas (aruund), souhaitaient être définitivement attachés à la circonscription ecclésiastique de Kapanga. Le 09 avril 1960, après tergiversations, Mgr KETTEL, évêque de Mbuji-Mayi, céda officiellement le terrain controversé du Nord de Kapanga aux missionnaires du territoire de Kapanga.
Ce conflit trouve racine loin dans l’histoire missionnaire : avant même l’érection de la mission de Kapanga, le Kasaï voisin était déjà évangélisé par les scheutistes (Cfr Chap. II, p.22). Ce sont les prêtres de cette mission et leurs catéchistes qui vont sillonner toute la contrée du Kasaï jusqu’à Kapanga.
En 1932, les franciscains venus de Sandoa pour fonder la mission de Kapanga vont bousculer cet ordre établi en tenant compte de la subdivision territoriale de l’Etat.
Alors que les missionnaires du Kasaï occupaient le Nord de Kapanga jusqu’au 8°10’ latitude Sud, les franciscains reprennent ce territoire en 1939. Les Pères de Scheut du Kasaï relancèrent l’offensive et réoccupèrent la contrée après érection de la mission TUBEYA (WIKONG) la même année 1939.
C’est finalement en 1960 que Mgr KETTEL se résigne à céder au Diocèse de Kamina (Kolwezi) ce morceau. Mgr KETTEL de Mbuji-Mayi, nous l'avons dit, ne faisit que se plier à la volonté de la population concernée, et du MWANT YAV. Cette population, en effet, demandait avec insistance d’être enseignée en lunda, sa propre langue et non en Chiluba, une langue étrangère. En d’autres termes ce peuple se reconnaissait Katangais et appartenant à la mission de Kapanga. Après cette '' capitulation'' des missionaires du Kasaï, Les Salvatoriens, nouvellement arrivés pouvaient alors évangéliser ces villages en toute quiétude.
Puisque ces accords n'étaient encore qu'officieux, on pouvait s’attendre à une éventuelle relance du conflit, une fois qu’un nouvel évêque succèderait à Mgr KETTEL. De fait, Mgr NKONGOLO venait d’être nommé évêque de Mbuji-Mayi. La plume intrépide de Mgr KEUPPENS, Evêque du Diocèse de Kamina auquel appartenait Kapanga, ne devait plus dormir : le 5 août 1970, Mgr KEUPPENS demandait au nouvel évêque de ratifier la juridiction qui fut donnée aux Pères de Kapanga par Mgr KETTEL en 1960. Il fallait le faire par écrit et officiellement, exigea-t-il. Le 19 octobre 1970 fut alors signé par Mgr KEUPPENS et Mgr NKONGOLO un contrat conjoint de délimitations exactes. Les archives de l'Evêché de Kolwezi disposent de ce document qui donne les termes précis du contrat:
« Il a été convenu que les limites des deux diocèses correspondaient dorénavant avec les limites de deux provinces administratives de la République Démocratique du Congo not. (Sic) les provinces du Kasaï et du Katanga… »
Au niveau de la hiérarchie, le conflit fut résolu donc de façon heureuse.
Sur terrain, au sein de la population elle-même, un ancien de cette époque-là, Monsieur Rumbu KOJ raconte qu’il y a eu des échauffourées :
« C’est arrivé qu’à une certaine période, raconte-il, on s’est mis à chasser les catéchistes du Kasaï et de Kanenchin (TUBEYA). Ces années-là un certain abbé David MUKENDI faisait son apostolat dans la contrée de la Nkalany arrivant jusqu’à Kateng à 18 Km de Musumba. Il enseignait en Chiluba. Nous autres, population lunda nous étions très mécontents de cette situation où il fallait mettre à l’avant plan la langue des autres. A ce rythme, le lunda était appelé à disparaître comme langue liturgique, notre culture était menacée d’effacement. J’étais commis aux bureaux du Territoire. Ainsi avec l’accord de Mwant Yav DITEND et de l’Administrateur du Territoire, Monsieur Sovet, nous avons écrit à l’Administrateur de Lusambo et de Mwene-Ditu pour leur manifester notre désaveu.
Un jour, on fit venir aux bureaux du Territoire de Kapanga l’abbé David Mukendi qu’accompagnaient deux autochtones de Kanenchin (Tubeya) pour un débat houleux en présence de Père Laurent, un Salvatorien œuvrant chez les lundas. Au bout d’une longue discussion, l’abbé David exprima son sentiment de déception et s’engageait enfin à retirer ses catéchistes kasaïens. Et les Pères de Kapanga devaient les remplacer par des catéchistes aruund (lundas). »
Quelques années plus tard, on dirait que les salvatoriens avaient jugé bon de choisir un roi des armées pour veiller à la frontière contre toute invasion éventuelle de l’élément Kasaïen: ils bouchèrent l’entrée de la frontière du Kasï en y créant la Paroisse Saint Michel de Kalamba.
Au niveau de la Nonciature, une correspondance trouvée dans les archives de l’Evêché de Kolwezi montre comment fut close cette affaire. Le conflit des frontières concernait aussi plusieurs autres Diocèses du Katanga : ainsi le 18 novembre 1970, Mgr TORPIGLIANI, Nonce Apostolique à Kinshasa, signale l’acceptation par la S.C pour l’Evangélisation des Peuples, des rectifications de nouvelles frontières entre les Diocèses qu’il cite (dont celui de Kolwezi).
En conclusion, tout porte à croire donc que ce problème s’est déroulé à des échelons différents. Au niveau de la Hiérarchie de l’Eglise, c’est à coup des plumes et avec tous les égards seigneuriaux qu’on est arrivé à une convention définissant clairement les frontières conflictuels.
Au niveau du peuple, le conflit fut plutôt plus sentimental : le lunda se sentait frustré d'être enseigné en chiluba et se devait donc de défendre et de protéger sa langue et sa culture face au chiluba envahissant. On s’est mis alors à chasser tout ce qui était kasaien.
Mais qu'il en soit il est un fait établi que l’évangélisation d’une partie de Kapanga, spécialement celle du nord-est, est venue du Kasaï. Le peuple lunda na cependant pas de gêne à admirer et à louer sincèrement le courage, la force, la persévérance et la piété du corpulent Abbé David MUKENDI du Kasaï. Il a parcouru la contrée de la Nkalany à pieds et parfois à vélo. La population qu’il évangélisait transportait ses malles sur la tête, à la manière des premiers missionnaires blancs. L’abbé David fut réellement un missionnaire, disent certains anciens. Une graine d’Ave Maria pour lui nous préserverait de toute ingratitude.
8.2. LA VIE DE QUELQUES MISSIONNAIRES
8.2.1. LE FRERE HENRI VERKOOYEN « SAMWAN ».
Ce Frère est le missionnaire par excellence de la mission de Kalamba. Né en 1926 au Pays-Bas et devenu religieux, il accepte d’être envoyé comme missionnaire au Congo-Belge. Il fut le premier religieux salvatorien à fouler le sol de Kapanga où il joua le rôle de charnière entre les Franciscains partants et les Salvatoriens qui arrivaient.
D’un abord facile, le Frère s’attira beaucoup de sympathie de la part de la population lunda dont il parlait aisément la langue. Ce fut un homme très généreux, et d’aucuns reconnaissent avoir bénéficié des bontés de celui qui devint le Chef coutumier SAMWAN : il a payé les études de certains jeunes, fait construire des maisons d’habitation à d’autres, donné des outils ou des machines de travail etc… Les actes de bienfaisance ont jalonné toute sa vie à Kapanga. Il est difficile de les énumérer tous. Parmi ses grandes œuvres, il convient de citer celles de développement, spécialement dans les constructions des ponts entre Musumba et Kalamba. Le voyageur étranger, non averti qui traverse la Rushish ou la Kajidij, n’y verrait que quelques ponts parmi tant d’autres ; le natif par contre est renvoyé au souvenir de Frère Henri. C’est à peine qu’on a pu se retenir parfois de s’écrier à certaines traversées : « Béni sois-tu Frère Henri ». Le Grand Chef Mwant Yav David Muteb II l’honora du titre de SAMWAN qui fit de lui un véritable notable des lundas investi de tous les insignes traditionnels : la couronne royale (chibangu), un ample pagne (mukambu), un bracelet (rukan), un coutelas dans son fourreau (mpak ya mukwal) suspendu sous son bras ; une petite hache (chimbuy) et la queue-chasse-mouche (mwimpung) à la main. Le Frère Samwan jouit de tous les privilèges liés aux notables lundas. A son arrivée, après un bref séjour à Ntita, c’est à Kalamba qu’il consacrera le reste de sa vie(27 ans).
Tombé malade en février 1991, frère Samwan arrive d’abord à Ntita pour les premiers soins, ensuite il est évacué par petit porteur vers Lubumbashi. Après Lubumbashi, il regagne l’Europe, nous promettant de nous revoir après six mois… C’était, nous l'ignrions, nos adieux à Frère Samwan à la plaine d’aviation de Musumba. En effet, le 9 juillet 1991, le frère rendit l’âme, en Europe. "Le Frère Samwan est mort, nous annonça-t-on". A Kalamba on organisa un deuil digne d’un notable lunda. Il est mort. Mais sa chaleur humaine durera encore des années dans le pays des « Ayipak » (dénomination des habitants de cette contrée). Son nom continue encore à retenir dans nos conversations à Ntita et à Musumba : « C’était un homme de Dieu… »
8.2.2. PERE ALBERT IHLE.
Père Suisse, né le 25 octobre 1906. C’est lui qui fut chargé de fonder la mission de Kalamba. Il y laissera sa vie le 10 octobre 1969 à 19h30. Il arriva au Congo comme missionnaire en 1956. Il passa sa première année de pastorale à Kapanga ; ensuite, il fut envoyé à Kanzenze. Il fut l’un des rares salvatoriens à avoir donné cours au Petit Séminaire de Kanzenze, fief des franciscains. Il y travailla de 1957 à 1960. Sa destinée penchait plutôt vers la mission de Kalamba. Il revint ddonc à Kapanga aprèss 1960. Il est ensuite envoyé à Kalamba. C’est là qu’il s’est épanoui, se consacrant entièrement à son travail dans la recherche du bien-être de la population qu’il devait évangéliser: il a puisé dans son savoir peu commun, des moyens appropriés pour être tout à tous : il était prêtre, bien sûr ; mais aussi médecin, constructeur, infatigable voyageur… L’Eglise de Kalamba s’est élevé, puis un dispensaire. Il envisageait même de construire un hôpital et une école pour infirmières, mais un soir, des bandits pénètrent chez lui. Quatre balles tirées sur lui mettent fin à sa vie terrestre et … à ses projets. La soif d’argent de quelques canailles l’emportait sur la générosité dont aurait profité tout un peuple. Adieu Père Albert, Jésus vous invite : « Venez les bénis de mon Père… car j’étais malade et vous m’avez visité… Recevez en héritage le Royaume… » La nouvelle se répandit aux quatre coins de Kapanga, du Diocèse de Kamina.
8.2. 3. LE PERE HEITFELD ALIAS MADJAKU.
Avant de devenir prêtre, Heitfeld a d’abord travaillé dans les mines de charbon en Allemagne. Mais Dieu lui préparait une autre voie et une autre croix. En effet, ordonné prêtre, le Père Louis est envoyé en Chine. Nous retenons de lui qu’il avait une grande dévotion pour Notre Dame de Fatima. Il construisit dans le Chef-lieu de la Province de Fu-Kien en Chine une cathédrale qu’il dédia à Notre Dame de Fatima. Le calvaire allait commencer avec l’arrivée des communistes au pouvoir. On persécute l’Eglise et ses missionnaires. Le Père Louis fut arrêté et emprisonné. Il subit des tortures atroces pendant vingt deux mois. Il a écrit une petite brochure intitulée ‘Gehirn Wasche’ (Lavage du cerveau). Il promit à la Vierge qu’il construirait encore une église qu’il lui dédierait s’il sortait de prison. Sa prière fut exaucée. Le Père est libéré. Il rentre en Europe. Mais il n'y demeura point. Il lui est proposé d''aller en Afrique et spécialement au Congo et à Kapanga. Il y arrive en 1958. Il est nommé Vicaire à Musumba. Il reçut de Mwant Yav Mushid le titre et les insignes de ‘Chef Sachilemb’. Le Père Louis arborait une bien bonne longue barbe que le Père Jef Cornelissen qualifie de prophétique, il avait aussi une voix tellement grave que la population lui colla le surnom de MADJAKU (en lunda, un oiseau au timbre grave). Le grand mérite de Père Louis se trouve dans l’œuvre grandiose qu’il va léguer à la capitale de l'Empire Lunda, Musumba, à savoir la construction de l’église de Notre Dame. En effet rappelé en Allemagne pour devenir Procureur des missions à Passau, il n’oubliera pas sa promesse lors de sa captivité en Chine : construire une église dédiée à la Vierge Marie. Il se mit alors à financer la construction d’une église à Musumba, à la taille de la Capitale de l’Empire. L’exécution de l’œuvre sur place sera réalisée par Frère Georges LENDERS, Père François Caris et Père Arnold STEVENS. L’inauguration de la nouvelle église eut lieu le jour de la fête du corps et du sang du Christ en 1966 par Mgr KEUPPENS. Depuis lors, l’église de Musumba, érigée en Paroisse en 1957, prit le nom de Notre Dame de Fatima et se dévêtit de celui de Sainte Elisabeth.
Autour de cette construction, se posa le problème d’emplacement de cet édifice. Les missionnaires catholiques ne voulaient point séparer l’église de la paroisse. Et pourtant, à Musumba, l’Eglise Catholique n’avait qu’une infime concession sur la Grand’ Place appelée Dibur dia Mwant Yav, littéralement, la grande Cour réservée à Mwant Yav. De quel droit les missionnaires catholiques pouvaient-ils encore se permettre de réduire la superficie de la cour sacrée impériale à leur bénéfice ? C’est la question que se posait le Chef Chot. C’est encombrant, pensait-il. Le bras de fer s’engagea entre le Chef Chot et l’Eglise sous l’œil indécis de l’arbitre Mwin Mangand Mwant Yav Ditend. Mais la sympathie pour cette œuvre et à cette place veillait au cœur du Grand Monarque. En fin de compte, c’est lui-même, le Mwant Yav, qui imposera sa décision souveraine en faveur de l’Eglise : « il fallait élever les murs de Notre Dame sur la Grand’ Place, qu’il en déplaise à certains notables ». Le 24 mars 1992, nous avons questionné le Chef Chot à ce sujet : il marque un petit regret sur ce qu’il croyait être la bonne position qu’il fallait défendre croyant satisfaire l'Empereur. Le Chef Chot est le notable dont le rôle est d’activer le feu au Palais du Mwant Yav, il surveille, en outre, les femmes du Palais contre toute infidélité. Depuis 1942, le chef Chot est encore au pouvoir jusqu’aujourd’hui. La polémique de jadis autour de l'occupation par les catholiques d'un espace sur la Grand'Place semble l'embarrasser aujourd'hui.
8.2.4. LE PERE FRANS CARIS
Ce Père fut un homme très dévoué à son travail. Il était maçon. Quand le Père Martin arrivait en 1961, dans le village de Kapanga où il s’installerait, Frans Caris venait de terminer la construction de l’église Sainte Famille aidé par Frère Georges Lenders. Caris a d’abord, lui-même habité dans ce village. Ceux qui l’ont connu parmi la population, nous racontent qu’il était de bon caractère, mangeant et buvant comme les ‘indigènes’. Après son séjour de Kapanga, il ira s’installer à Musumba où il vivra dans une même communauté avec Père Arnold. C’est là qu’il fonda un Centre Culturel : véritable foyer de propagation des brochures en lunda. Il a publié par exemple : « Ayilabu a Uganda », « Marie Goretti et Monique ». Il est à l’origine du feuillet d’information baptisé : « Kuvarakan », feuillet qui sera relancé plus tard par le Père Paul WEY. C'est le Père Caris qui va se consacrer à la construction de la nouvelle église de Musumba, financée par le Père Heitfeld.
Mais l’homme reste imprévisible. Caris quittera les ordres, pour fonder une famille. Il ira habiter la ville de Lubumbashi où il a exercé le métier de professeur à l’athénée de Kiwele en 1971. Quelques années plus tard il retourna en Europe où il vit encore aujourd’hui comme un bon chrétien profondément engagé.
8.2.5. LE PERE BAUDOUIN THEWISSEN
Entre 1964 et 1974, arrivèrent à Kapanga des missionnaires qui ne purent s’adapter à la vie de cette contrée. Ces inadaptations étaient d’ordre divers, selon les personnes. Nous citons parmi ces missionnaires :
Le Père Anselme (un autre ancien missionnaire venu de Chine y ayant fui la persécution).
Arrivé en 1966, ce Père préféra exercer la fonction exclusive de professeur de l’école de Ntita, rejetant toute autre tache liée à son ministère sacerdotale : ainsi il ne voulait ni prêcher, ni confesser, ni dire des messes en public. Rentré en Europe, il jeta le froc aux orties.
8.2.6. LE PERE WILLY SMEET
Il est arrivé en 1965. Il a écrit les chroniques de la mission de Kapanga de la période franciscaine. Suite à une santé fragile, il dut rentrer en Europe. Il a souffert de l’estomac, de fortes constipations, du foie etc. Et pourtant, nous raconte le Père Arnold, c’est un missionnaire qui eut beaucoup des facilités à apprendre la langue lunda.
8.2.7. LE PERE HUBERT GIJSEN
Arrivé très jeune à Kapanga, il se montra un homme dynamique et ouvert. Il était bien apprécié par les jeunes tant par ceux de Musumba que par ceux de l’école artisanale de Ntita. Un enseignant qui a connu le Père Hubert, raconte avec plaisir les largesses de ce missionnaire : « C’était un très bon prêtre, il distribuait des habits usagés dans les villages, du sel etc. »
Son idéalisme juvénile l’amena à concevoir un projet gigantesque : il se proposa de construire, nous rapporte le Père Martin, ‘une Paroisse pilote’ dans le village de Chibamba. Il souhaitait de toutes ses forces la réalisation de ce projet, mais en cette matière, la seule bonne volonté ne suffit pas, il faut se confronter aux faits. En effet, le Père Hubert qui se voulait être un missionnaire de campagne rencontra vite sur son chemin la déception et le découragement : la brousse était bien hostile tant la solitude y était pesante. En plus, les confrères missionnaires le regardaient d’un air moqueur et indifférent. Il résolut de rentrer gentiment à la grande mission de Ntita. Quelques mois plus tard, Père Hubert s’en allait en congé ordinaire. De l’Europe, raconte le Père Paul, il envoya une lettre pour annoncer qu’il ne reviendrait plus jamais à Kapanga et au Congo parce qu’il avait reçu une admonestation des autorités de la Sureté Nationale Congolaise qui le menaçait.
Tout compte fait, l’on comprit que la mission du fébrile Père Hubert s’arrêtait-là. C’était en 1967.
8.2.8. FRERE GEORGES LENDERS SURNOMME JOMBOLO
A côté des religieux, les Salvatoriens ont été aidés par des laïcs.
Frère Georges en est un. Il est arrivé en 1959. Il fut un grand Maçon aux cotés des Pères FRANS Caris et Arnold STEVENS. Son œuvre s’élève aujourd’hui à travers les différents postes de mission de Kapanga : une partie de la mission de Kalamba vient tout droit de ses muscles, il a participé à la construction de la paroisse Sainte Famille à Kapanga. Et plus tard, il s'attelera, avec dévouement et succès, à la construction de l’Eglise Notre Dame de Fatima de Musumba. Au Frère Georges, il faut associer aussi Monsieur Lambert VAN LANGEDONK, son menuisier bras-droit.
8.2.9. MONSIEUR WOLLY BOSCH.
C’était un laïc très dynamique qui se faisait passer pour un ‘monsieur qui connaît tout.’ Il déclarait même savoir piloter un avion à réacteurs. Il était un as de l'aviation, semble-t-il. C’est avec sourire au coin des lèvres que ses confrères prêtres écoutaient ces belles histoires sans y croire du tout. Quoi qu’il en soit, nous dit le Père Arnold, il ne lui manquait pas certains talents : il était certainement excellent en dactylographie, et jouait merveilleusement bien au football où il récolta beaucoup de succès auprès des jeunes.
8.2.10. MONSIEUR PAUL
Encore un volontaire qui aurait rendu d’énormes services à la mission n’eût été sa petite turbulence. Il disparut pendant deux semaines en brousse emportant avec lui le camion de la mission. Après tant d’autres petites aventures, le Père Supérieur le conseilla de reprendre le chemin de l’Europe pour continuer sa vie trépidante.
8.2.11. FRERE JOSEPH BEERENDONK
Il fut le Hercule des jardins. Il était un homme de forte carrure, capable de vous soulever, nous rapporte le Père Martin, tout un fût de carburant pour le hisser sur le camion. En son temps, les casseroles de la mission ne devaient jamais souffrir du manque des légumes.
CHAP. 9 LES PERES DOYENS D’AUJOURD’HUI
Les Pères Salvatoriens de la première génération sont tous passés. Cependant aujourd’hui encore nous vivons avec des missionnaires arrivés à l’aube des années 60 à Kapanga. C’est le cas de Père Laurent Théodore JANSENS (1959), de Père Martin KOOPMAN et de Père Arnold STEVENS. Les Pères que je nomme doyens dans la vie ecclésiale de Kapanga sont justement ceux-là à qui il faut ajouter le Père Joseph CORNELISSEN, Père Maurice PIET STEVENS, Père Paul WEY FRANS, sans omettre le Père Godefroid GOVAERS qui vient récemment de retourner en Europe. Nous allons parler ici de quelques-uns seulement.
9.1. PERE ARNOLD STEVENS
Le 15 mars 1992, nous avons rencontré le Père Arnold à Sandoa. Et, avec plaisir, nous avons abordé la page d’histoire de la mission de Kapanga. Il nous a éclairé sur bien des points et spécialement sur son propre travail pastoral. Le Père travaille actuellement dans une ferme en retrait sur la route Sandoa-Kapanga et plus précisément à KASOMBIJAN. Dès son arrivée en 1961, son premier effort fut d’apprendre la langue lunda ; il y consacra six mois. Après cela il fut chargé de l’école artisanale à Ntita, puis en septembre 1962, il arriva à Musumba comme vicaire paroissial de Père Jérôme. Il n’y demeura pas longtemps, il retourna de nouveau à Ntita avec le projet de débuter la première école secondaire catholique. Dans cette entreprise les Pères rencontrèrent à nouveau la traditionnelle forte opposition de l’Eglise Méthodiste. Les protestants, en effet, reviennent à la charge pour empêcher la création d’une école secondaire catholique, craignant que cela fasse la popularité et la publicité de l’église Catholique Romaine et son expansion rapide dans les villages. Le Père Laurent, Supérieur, las de ces empoignades insensées voulut carrément laisser tomber le projet. Heureusement, nous dit-on, le Président TSHOMBE dut intervenir en faveur de cette œuvre et encouragea la naissance et l’épanouissement de l’école. Ce sera le futur Institut Ntita.
Les débuts du travail de Père Arnold sont assez mouvementés : on le retrouve bientôt Curé de la Paroisse Sainte Famille à Kapanga, il y remplaçait le Père FRANS Caris parti en vacances en avril1963 . Pendant cette même période, le Père remplissait les fonctions de Vicaire à Musumba. C’est en avril 1964, qu’il fut confirmé curé de cette dernière paroisse. En janvier 1965, il quitte définitivement la paroisse Sainte Famille pour s’installer à Musumba avec le Père Hubert GIJSEN. Au départ de ce dernier, en 1967, il y habitera seul. Certains soirs, nous raconte-t-il, il se rendait à Ntita pour y prendre ses repas dans la grande communauté, parfois, par contre, il préférait rester dans sa cure de Musumba s’occuper du développement de ses photos. A Musumba le Père a lancé le Mouvement des ‘Guides’(Scouts). Mais il se heurta vite au manque d’intérêt de la part des adultes, le mouvement s’éteignit et fut remplacé par le Kiro. Le Père se rappelle qu’il a gardé aussi un mauvais souvenir de certains enseignants qui l’ont farouchement combattu. Mais qu’importe les vents contraires, il continua à mener sa petite barque : il traduisit des missels en lunda avec la collaboration de ceux qui lui étaient sympathiques, dont les enseignants NAWEJ FELIX et KALENG ANDRE ; il parcourut des villages prêcher la Bonne Nouvelle, il secourut des indigents de toutes sortes etc. Enfin en 1970, il prit ses vacances en Europe ; temps qu’il mit à profit pour se préparer à la tâche de Directeur du Centre Catéchétique. Quand il revint donc en 1971, c’était pour commencer une toute autre pastorale, d’abord celle de l’apostolat de la brousse : il visitait les villages de Yombo, Mutomb-a-Chibang, Mukamwinsh… Et puis alors le Centre Catéchétique en 1973.
9.1.1. LE CENTRE CATECHETIQUE DE NTITA
Les Pères salvatoriens, faisant écho à leurs prédécesseurs franciscains d’avoir un véritable centre de formation catéchétique, ont entamé les travaux de concrétisation du projet en 1973. Le projet fut approuvé au Conseil Diocésain en 1970. En décembre de la même année, il y eut une rencontre du Doyenné de Dilolo (actuellement appelé Doyenné de Lulua) où l’on décida d’ériger ce Centre à Sandoa, place centrale pour cette entité ecclésiastique, afin de permettre à toutes les missions concernées (Dilolo, Sandoa, Kapanga, Kasaji) d’y avoir facilement accès. Comme langue véhiculaire, le choix tomba sur la langue provinciale, le swahili. Le Père Arnold, Directeur nommé, s’y opposa parce qu’il ne connaissait pas le swahili, il voulut même démissionner pour cette raison-là. On décida alors d’implanter le Centre à Kapanga où, à coté du français, on userait bien aussi et surtout de la langue lunda préférée par le Père Arnold. L’implication salvatorienne dans cette affaire était de taille, on ne pouvait donc pas s’opposer efficacement à cette nouvelle donne sans se retrouver dans une impasse. Les Pères Joseph CORNELISSEN et Romain MISSEN furent chargés de s’occuper du projet. Les plans et le devis pour les constructions furent établis : le coût total s’élèverait à 32.654 Zaïres, somme très considérable à cette époque-là. On introduisit ce dossier à « Action de Carême des Catholiques Suisses ». Afin d’encourager les organismes à soutenir effectivement le projet, le Diocèse de Kolwezi fit savoir qu’il disposait déjà d’un montant de 172.000 fb (francs belges), somme qu’il remettait au Centre comme contribution (Sources : Archives de la Mission de Ntita)
Le Centre ouvrit ses portes en novembre 1973. Il avait pour but, la formation des catéchistes-animateurs bénévoles des missions précitées. C’est par périodes que des familles devaient venir habiter le Centre pour suivre la formation. Pendant que les hommes sont formés à la prédication de la Parole de Dieu, les femmes en profitent pour appendre quelques rudiments des cours ménagers (puériculture, nutrition, foyer, cuisine etc.)
Nous avons trouvé un rapport des cours qui se donnaient dans cet établissement et les périodes sur lesquelles ils s’étendaient :
1. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : mars 1973 – juillet 1974. 11 familles ont été hébergées au Centre.
2. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : octobre 1974 – juillet 1975. 20 familles.
3. Du mois d’août au mois de septembre 1975 : recyclage pour 13 catéchistes employés à temps plein.
4. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : octobre 1975 – juillet 1976 : 20 familles.
5. Août 1976 – septembre 1976 : recyclage pour 13 catéchistes employés à temps plein.
6. Cours de formation pour catéchistes et chefs des villages : octobre 1976 – mars 1977. 20 familles. Et puis alors éclata la guerre de 80 jours au Shaba (Katanga). Les cours furent interrompus et ne reprendront que trois ans plus tard en 1979.
7. Octobre et Novembre 1979 : recyclage pour 13 catéchistes venus avec leurs femmes et enfants.
8. Juillet 1980 : recyclage de six semaines pour tous les catéchistes ayant eu leur formation dans ce Centre depuis sa fondation en 1973. 53 participants.
9. Novembre et décembre 1980 : cours de formation pour 50 catéchistes bénévoles. Après cette date, le Centre va connaître un ralentissement dans ses activités.
Difficultés.
a. De la part des formés
- Ces gens qui venaient étudier au Centre savaient parfois à peine écrire, ce n’était que des simples paysans dont le niveau intellectuel était très bas. Et parfois ils étaient déjà bien âgés. Aussi plusieurs n’ont-ils pas considéré ces périodes de formation comme un temps mort dans le déroulement normal de leurs activités paysannes.
- Les participants devaient parfois venir de loin : de Dilolo, Kasaji, Kalamba, et même Wikong. La persévérance n’était pas toujours au rendez-vous.
- Les plus doués d’entre eux, préféraient aller étudier à Lubumbashi à l’Institut des Sciences Religieuses (I.S.R), tout en dédaignant la formation du centre de Ntita.
b. De la part des formateurs
- Le Directeur de Centre, le Père Arnold, n’était pas toujours stable, parce qu’il a quand même continué encore à visiter les communautés chrétiennes de brousse. Ce handicap s’est aggravé lorsqu’il s’est installé à Kalamba (à au moins 100 Km de Ntita) depuis 1977 quand la guerre avait éclaté. Il y plaça même sa résidence jusqu’à sa confirmation comme Curé de ce village.
- Au moment où on a commencé la traduction de la Bible en langue lunda à Kapanga, on réduisit sensiblement les périodes de formations des catéchistes. Le Père Jacques venait alors de passer Directeur de Centre, en même temps qu’il s’occupait de la dite traduction. On a commencé à organiser des sessions de 3 jours seulement. Ce sont les catéchistes formés à l’I.S.R de Lubumbashi qui se chargeaient de dispenser les enseignements destinés aux catéchistes venus des villages. Une nette distinction va se faire jour entre les catéchistes formés à l’I.S.R et ceux formés sur place à Ntita.
Voici les noms des catéchistes (animateurs) ayant œuvré à Kapanga jusqu’à ce jour :
LA PREMIERE VAGUE : Mayemb a Kasaj (à Musumba), Mases Marcel (Musumba), Mbaz (à Mukamwish), Mutiy Jean-Baptiste (à Mpand-a-Kalend), Rubing qui œuvra à Kalamba puis est devenu chef coutumier à Mbok ; Kaleng Floribert (à Ntita) et Kabund (à Kapanga).
LA DEUXIEME VAGUE : Mupang Innocent (Kalamba), Mufot (à Renyek et Musevu), Mulapu Vincent (à Ntita), Chikut (à Chamb et Kambundu), Kapend Chitav Boniface et Chilond Alidor (à Musumba), Kapend Chibang (à Chibamba).
LES BATIMENTS DU CENTRE
Le Centre Catéchétique de Ntita est construit entre le couvent des Sœurs et celui des Pères. Il comprend 16 maisons d’habitation dont 8 parmi elles sont jumelées. Elles sont rangées sur deux lignes parallèles et au milieu du Centre sont bâtis les bureaux du Directeur et la salle des conférences.
MAYEMB A KASAJ, UN CATECHISTE A ROME
Le catéchiste Mayemb-a-Kasaj fait grande figure dans l’histoire de l’Eglise naissante de Kapanga. Mayemb fut un ancien jeune cuisinier des colons européens dans les villes minières de Kambove et de Likasi. Il est rentré dans sa zone natale à Kapanga en 1928. Quand les Pères franciscains arrivèrent en 1929, il fut un des premiers inscrits pour le catéchisme et fut baptisé en 1932 par le Père Amans. Depuis lors, allait se confirmer sa vocation d’être porte-parole de Dieu jusqu’à devenir un des grands noms des catéchistes de la zone de Kapanga. Il a travaillé tour à tour aux cotés des Pères Amans, Adhémar Kawel, Pascal Ceuterick ; il a continué à travailler, par la suite, avec les Pères salvatoriens.
Après avoir parcouru des villages innombrables, prêchant et exhortant le peuple de Dieu à vivre sa Parole, Mayemb déménagea du village Kapanga à la Capitale de l’Empire, Musumba.
En 1963, il eut le rare privilège parmi les catéchistes de visiter l’Europe : il y fut accueilli par la communauté des Pères Salvoriens. Le comble du bonheur arriva au moment où il lui fut donné de rencontrer le Pape de Rome. Celui-ci l’honora d’une médaille de mérite que Mayemb devait désormais arborer dans toutes les manifestations officielles de l’Eglise. Revenu à Kapanga, il écoula sa petite vie paisiblement à Musumba, avec le même dévouement au service de l’Eglise. On raconte, dans les détails de sa vie, qu’il fut d’une propreté exemplaire, ce qui lui valut le surnom de Belge Noir. Il s’est éteint à l’hôpital de Ntita en 1969 et fut enterré au Rusambu, le cimetière de Musumba. Plus tard, pour conserver dignement son souvenir, on donnera le nom de Mayemb-a-Kasaj à l’école primaire centrale catholique de Musumba.
Le Centre a connu ses heures de prestige, mais ce temps est révolu : à la période de gloire a succédé plutôt aujourd’hui, une période terne, apparemment sans avenir certain. Quand je suis arrivé à Kapanga, dans l’équipe des Pères Joseph CORNELISSEN et Paul WEY, nous avons encore, ensemble, animé quelques sessions pour animateurs pastoraux. Actuellement les maisons sont ou bien inoccupées ou bien habitées par quelques utiles professeurs ou infirmiers de la place. On ne peut pas encore parler du délabrement de cet établissement, mais si on n’y prend garde, on va bientôt y arriver, car la nuit plane sur le Centre.
9.1.2. L’HISTOIRE DE L’ELEVAGE A KAPANGA
Nous ne pouvons parler de Père Arnold sans penser à l'élevage des bovins.
Depuis le temps des franciscains, l’élevage a toujours constitué une activité essentielle à coté de la culture dans la vie quotidienne des missionnaires. En 1972, le Frère IANKEES a encore entretenu quelques vaches sans vraiment y accorder une grande importance.
Après son départ, ces vaches ont commencé à crever l’une après l’autre. C’est déjà à cette époque-là que le Père Arnold a commencé à marquer un certain intérêt à l’élevage des bovins. Il s’est instruit lui-même avec un livre que lui avait prêté un certain Monsieur SEGADAES (aujourd’hui agent de COTOLU à Kasaji). Tout de suite, il se rendit compte que ce n’était pas du temps perdu. On pouvait exploiter avec profit ce domaine-là. Mais pour le Père Arnold, il a fallu attendre 1985 pour être libéré totalement et s’adonner entièrement à la pastorale des vaches. C’est le Père IAN SCHREURS, alors Supérieur Provincial, qui lui autorisa de bien vouloir débuter la nouvelle activité d'élevage : Père Arnold accepta volontiers l’offre.
En août 1986, il constitua son premier troupeau avec une sélection venue de Mubinza, au Kasaï. Il y avait alors 26 génisses et un taureau. Plus tard, un deuxième troupeau arriva avec 24 génisses et 2 taureaux : ce qui porta le nombre des têtes à 53, cette année-là.
Depuis lors, la population bovine ne fera qu’augmenter d’année en année grâce aux soins de l’autodidacte-éleveur, qui devint un féru du domaine. En 1986, le Père s’installa à Karadany, dans la zone de Kapanga, un village situé sur la route entre Musumba et Kalamba. Il y rencontra mille et une difficultés venant de la Collectivité Mwant Yav. Le pasteur leva sa tente et marcha, à la recherche des terres plus hospitalières : c’est la collectivité de Muteba, dans la zone de Sandoa qui lui offrit les espaces recherchés. Il campa à KASOMBIJAN à 70 Km de Sandoa, en retrait de 7 Km sur la route de Kapanga-Sandoa. Le Père remarqua que c’était sa terre promise pour y installer définitivement sa ferme : on commença à construire en dur quelques bâtiments. Aujourd’hui ce projet fait la fierté des salvatoriens. La ferme s’épanouit dans les espaces verdoyants de la rivière Randu, plus de 700 têtes marchent majestueusement à travers la savane sous le regard envieux de quelques lions voraces qui disputent parfois au Père la précieuse proie.
9.2. LE PERE MARTIN KOOPMAN
Arrivé en 1961 dans la mission de Kapanga, le Père Martin a d’abord habité durant quelques mois à Musumba avant de rejoindre la Communauté de Ntita. Dans ses premières années, il fera la pastorale de brousse en parcourant les villages de la Nkalany (Mutombu-a-Chibang, Yombo, Ntembo, Kalamb…).
A partir du moment où il va se fixer dans le village de Kapanga en 1965, il ne voudra plus se séparer de cette paroisse-chérie. C’est là qu’il sera à l’école de la culture lunda. Il s’y enracina tellement qu’il fut investi chef SAMBAZ, à l’instar de son compatriote hollandais Frère Henri SAMWAN de Kalamba. Il vivra dans ce village jusqu’en 1980, date à laquelle il fut muté à Kalamba y rejoindre Frère Henri. Mais son cœur est resté à Kapanga. Huit ans après son exil de Kalamba, il fut joyeux de retourner dans son ancienne paroisse à Kapanga où il vit encore (seul) jusqu’aujourd’hui. C’est avec larmes aux yeux qu’il s’arrache à ce village, pour prendre quelques rares vacances en Europe : « S’il ne dépendait que de moi, nous confia-t-il un jour, je n’irais plus jamais en vacances en Europe ». Pour le Père Martin, les jours se succèdent alors l’un après l’autre, et ils se ressemblent tous : à part les messes, le vin de palme (le chikur), quelques réparations des appareils électriques et électroniques, sont parmi ses meilleures occupations. Oh ! Qu’il aime aussi à capter les messages des avions qui passent au-dessus de sa tête. Papa Mike est son appellation codée. A chacun son petit beau patelin !
9.3. LE PERE JOSEPH CORNELISSEN
Cette humanité que d’aucuns vilipendent souvent contient parfois des beautés morales insoupçonnées. Dans ce récit consacré à Père Joseph, affectueusement appelé Jef, nous allons remarquer combien l’homme, ce néant, recèle de grandeur, de quels élans de générosité il est capable, de quels merveilleux dévouement il peut être l’auteur. Pendant près de 30 ans de vie missionnaire à Kapanga, Jef a posé beaucoup de beaux gestes de magnificence et de don de soi.
Volonté douce mais inébranlable, le Père Jef sait allier bienveillance et fermeté.
Venu du village de PEER, dans les gras vergers de la Flandres en Belgique, le Père commence son apostolat à Kapanga en 1964. Interviewé aujourd’hui, le 20 novembre 1991, nous refaisons à l’envers le chemin parcouru par ce missionnaire. Beaucoup d’événements sont aujourd’hui givrés par l’âge ; les plus marquants cependant reviennent tout doucement à la mémoire.
Dès son arrivée, le Père est nommé Directeur d’école et d’internat à Ntita. Quelques mois plus tard, il entre dans la pastorale. De fait, son véritable domaine, c’est la paroisse. En 1966, il est envoyé à Kolwezi pour apprendre la langue swahili et revenir à la mission de Sandoa en 1967. Il y trouve un des doyens des franciscains de cette époque, le Père Marcel VAN IN, prêt à déménager et céder la place aux savatoriens, comme ce fut le cas en 1955. Le Père Marcel n’avait pas de chance avec les salvatoriens, avait-il lui-même lancé avec humour (cfr chapitre des franciscains, première partie, Chap III) . Au bout de 5 ans, en 1972, le Père Jef retourne à Kapanga et retrouve la terre de sa première alliance. C’est là que l’attendaient les grands événements de son destin.
9.3.1. DIFFICULTES A MUSUMBA AUTOUR DU SACRE DE SON EXCELLENCE MGR FLORIBERT SONGASONGA.
Le 24 aout 1974, la ville minière de Kolwezi avait revêtu sa plus belle robe, chants et musiques annonçaient l’accomplissement d’un événement grandiose : le Sacre de Mgr Floribert Songasonga au THEATRE DE LA VERDURE de la cité Gécamines Kolwezi. Cet événement inaugurait le début d’une nouvelle ère dans le Diocèse de Kolwezi : une église aux couleurs véritablement locales était entrain de naitre.
Mais le remplacement de Mgr KEUPPENS par Mgr Songasonga ne se fit pas sans heurts. En pareilles circonstances, les attentes sont multiples, les pronostics sur l’éventuel bienheureux successeur au Siège Apostolique de Kolwezi couraient à travers les rues de Kolwezi, mais aussi et surtout à Kapanga. Visant Mgr Nawej Michel, alors Vicaire Général du Diocèse de Kolwezi, on se disait : « Ne serait-ce pas ce digne fils, natif de Kapanga qui passerait Evêque de Kolwezi ? ». A Musumba, où le Père Joseph était Curé, ce souhait se vivait comme une réalité accomplie : on attendait cet événement dans une foi infaillible, c’est ce qui fut le drame du nouveau curé qui n’avait qu’à peine deux ans à Notre Dame de Fatima de Musumba. En effet, voilà qu’au moment voulu, il plut à Rome de nommer Monseigneur Floribert Songasonga, évêque de Kolwezi, au grand dam de celui que tout le monde attendait à Kapanga.
Les réactions ne se firent pas attendre dans la capitale de l’Empire lunda : en signe de protestation contre l’Eglise des Pères, les fidèles coupèrent les cordes des cloches de Notre Dame de Fatima pour empêcher d’appeler les gens au culte. Certains instigateurs couraient dans le village pour contre carrer le mouvement de ceux qui quand même pensaient se rendre à la prière paroissiale. On se mit à injurier le Père Joseph et à le bouder. Quelle était donc la logique qui était à la base de la grève déclenchée contre l’Eglise et spécialement contre les Pères salvatoriens ? Selon la population de Kapanga, les prêtres expatriés ont une grande influence sur les nominations des Evêques, ce sont eux qui ont écarté certainement la candidature de Mgr Nawej à l’épiscopat. On vit alors des enseignants fanatiques soutenir sans scrupules ce mouvement de contestation. Un climat malsain se développa dans la paroisse, tout apostolat devint impossible pour le Père Joseph dont les nerfs allaient craquer. L’unique solution, nous raconte-il, fut pour lui de se retirer en Europe. Il y passa un congé prolongé de dix mois.
C’est alors que le Père Paul fut désigné pour remplacer le Père Jef à Musumba. La situation n’évolua point positivement : Joseph ou Paul ; c’est pareil ! Le Père Paul raconte qu’il ne rencontra qu’indifférence, moquerie et plaintes. Il raconte :
« Un mercredi soir, j’ai déménagé pour habiter à Musumba déserté par le Père Joseph. Je croyais que je serais mieux accueilli et que j’y ferais longtemps en attendant le retour de Père Jef. A mon arrivée, personne ne me dit mot. Je m’encourageai à persévérer dans mon dévouement. Mais chaque matin à la sortie des messes (qui avaient quand même repris), les fidèles disparaissaient chacun d’où il était venu sans sacrifier à la politesse des salutations matinales au Père, comme jadis. J’ouvrais grandement la porte de mon bureau espérant même une traitre visite d’un chrétien repenti, en vain ! Le soir j’essayais de rejoindre les gens dans leur famille, accompagnée par le fidèle catéchiste Mases Marcel. Je me sentais un intrus. Je vis que c’était ridicule de rester au milieu des mécontents et boudeurs chrétiens. Trois mois après, j’ai repris mon apostolat des villages de brousse où je me sentis enfin utile à quelque chose » (Père Paul, interview du 12 janvier 1992)
Le 15 septembre 1974, le Nouvel Evêque effectuait sa première visite dans la capitale de l’Empire lunda, à Musumba. Quel accueil y trouverait-il ? La population était-elle déjà revenue aux meilleurs sentiments ? Le Père Paul nous explique que le Mwant Yav MBUMB avait dû, au préalable, convaincre son peuple du mouvement irréversible de cette nomination dans l’Eglise catholique, les manifestations hostiles ne changeraient rien à cette nouvelle donne historique du Diocèse de Kolwezi. Il fallait accepter la situation présente sportivement et réserver au Nouvel Evêque l’accueil qui soit digne de son rang, avait déclaré l'empereur des lundas à ses sujets. Effectivement le message fut bien accepté : le jour venu, Musumba accueillit dans la liesse et les chants l’homme de Dieu. On dirait que personne ne se souvint plus de l’emportement d’il y a quelques temps. Monseigneur débarqua à Musumba d’un pas décisif, ovationné et couvert des ‘tulabul’ (cris de joie) qui fusaient de toute part. Et dans la bousculade d’une foule électrisée par les chants religieux chaudement exécutés, Musumba avait ressemblé ce jour-là à Jérusalem accueillant son Messie à coup des rameaux.
9.3.2. LES AUTRES DEFIS
Après dix mois de congé en Europe, le Père Joseph revint enfin pour de nouveaux combats et nouvelles surprises de la vie. Il va travailler longtemps dans la Capitale de l’Empire, les messes se succédant aux autres et les œuvres de charité se multipliant à longueur des années. Ce faisant, le Père gagnait de plus en plus la confiance des ouailles lui confiées. Les vieilles mamans et les autres indigents trouvaient auprès de lui le réconfort dans leurs peines : le Père n’hésitait pas à distribuer un peu de sel, du savon, des couvertures et habits usagés. Il comprenait, avec remords, la souffrance de ces pauvres qui défilaient devant son bureau. Il savait aussi que ses propres moyens étaient bien limités, mais il ne pouvait congédier toujours, mains bredouilles, ces nécessiteux aux abois. Des années s’écoulèrent ainsi dans le même dévouement quotidien aux visites à rendre aux chrétiens à leurs humbles domiciles, aux sacrements à administrer. C’est toute la période des années 70 qui y passa. Et parfois, il se rendait en vacances dans sa chère Europe pour se ressourcer à tout point de vue ; quand il revenait c’était le délire parmi la population. La scène de retour à Musumba vaut bien la peine d’être contée :
Les fidèles qui sont à l’avance informés du retour prochain du Père, préparent fiévreusement l’événement. Au jour fixé, ils se mobilisent pour acclamer leur curé. Depuis l’entrée du village, dans le fief des méthodistes, la foule est rangée : kiros , chantres, légionnaires, élèves et autres insouciants badauds, chrétiens anonymes tous attendent impatiemment, les oreilles au vent pour saisir un éventuel vrombissement de moteur… Enfin le moment est arrivé, le véhicule est là, des airs de musique s’élèvent alors de la foule compacte et l’on chantait l’une de ces belles mélodies lunda : « Joseph wa mend ma mikindu/Mud manguj ma ku chis/Riyo, riyo, Joseph waswej riy ». Ce qui veut dire, Joseph aux jambes solides comme des roseaux, on dirait des piliers d’une porte. Joseph excelle en pitié. Ou encore, écoutons ces mamans légionnaires qui agitent des rameaux en scandant : « Wezaku tatuk ! washik mwingand yey », « Bienvenue, Père, bienvenue sur ton sol ». Le parcours était tracé à l’avance, blanchi au son de farine de manioc. Le cortège se dirigeait ainsi vers la paroisse catholique de Musumba située sur le dibur, au coeur de la cité de Musumba et le Père Joseph, peu apte au rythme cadencé des mélopées africaines marchait tant bien que mal en essayant d'incarner son nouveau rôle de Fils de David accueilli à Jérusalem.
Mais ces genres d’accueil ne plurent pas toujours au Grand Chef MWANT YAV. Ca lui devait être, estimait-il, réservé. On demanda aux chrétiens catholiques d’être plus discrets dans leur façon d’accueillir les missionnaires et même l’Evêque. Cependant, on n’a jamais réussi à éteindre la spontanéité de la joie du peuple lunda qui reçoit ses hôtes religieux.
9.3.2.1. RELATIONS MISSION CATHOLIQUE ET PALAIS IMPERIAL
Il est à noter qu’à part le MWANT YAV MUSHID (1967 – 1969) qui fut catholique, tous les autres Empereurs ont toujours été des méthodistes. Malgré cela, le Palais a souvent entretenu de bonnes relations avec la mission catholique. Ce qui est important pour l’Empereur, c'est le fait que tous les missionnaires, confessions confondues, puissent contribuer au développement de la terre lunda. Mais il serait plus réaliste de dire que les relations entre la mission et le Palais étaient au beau fixe ou perturbées, selon les personnes et selon les circonstances. Tel Mwant Yav mériterait les éloges des missionnaires, tel autre, pas du tout. Tel prêtre est un as pour le Grand Chef, tel autre passe inaperçu, un troisième s’accrocherait avec lui, ainsi va la vie. Par exemple, certains missionnaires ont été élevés au rang de notable de Mwant Yav (A yilol a Mwant Yav) : le Frère Henri de Kalamba devint Samwan avec comme femme symbolique Nakabamb ; le Père Martin de Kapanga devint Sambaz, avec comme femme symbolique Nambaz ; quant au Père Joseph, le Mwant Yav lui attribua un titre de notabilité qu’il refusa et le céda à son propre frère de l’Europe. De part et d’autre donc, on se ménageait pour entretenir de bonnes relations.
Les missionnaires étrangers pouvaient exhiber en Europe, avec fierté leurs titres coutumiers honorifiques, signe de la confiance qui leur a été témoignée sur le sol lunda, signe aussi d’une intégration certaine dans la culture des enfants de RUWEJ. Les Grands Chefs, successivement de leur part sont satisfaits d’avoir apprivoisé ces partenaires occidentaux, capables de vous faire bénéficier d’une technologie utile pour transformer toute une vie.
Mais, il y a eu aussi des heurts quand Mwant Yav et missionnaires ne parviennent pas à accorder les violons. Le missionnaire sait qu’il doit, malgré tout, préserver sa liberté d’apôtre de Jésus Christ et prêcher à temps et à contre temps la Bonne Nouvelle sans compromission. C’est l’histoire malheureuse qui est arrivé entre Mwant Yav MBUMB et le Père Joseph en avril 1981. Quelques années auparavant, les prêtres catholiques ont enregistré des plaintes de la population extorquée tout le temps par le Grand Chef qui leur imposait des taxes exagérées. Les amendes créées de toutes pièces se multipliaient. Ne pouvant fermer les yeux sur ces exactions, les prêtres intervinrent aux cotés de la population exploitée : par des sermons dominicaux, ils conscientisaient les gens ; et le Père Jef, quant à lui, alla plus loin en informa l’autorité régionale, citoyen le Gouverneur de la Région du Shaba de ce qui se vivait à Musumba. Pour le Grand Chef, le Père Joseph venait ouvertement de déclarer la guerre, il ne fallait plus reculer.
Une bonne fois, le Grand Chef revenait de Kinshasa, il s’est arrangé pour atterrir en hélicoptère sur la Grand Place de Musumba, espérant un bain de foule qui remonterait sa cote de popularité. Mais, hélas ! La population lunda tournait le dos à ce gros oiseau qui rappelait les heures sombres de la guerre de 80 jours. La population n’était-elle pas informée de l’arrivée du Mwin- Mangand (un des titres du Mwant Yav signifiant : Celui à qui appartient tout l’univers) par hélicoptère ? Si oui, il était informé, pourquoi dès lors ce signe de désintéressement à celui qui jadis était acclamé comme un dieu ? l’Empereur avait-il compris ce geste du peuple ? Toutes fois, il ne fut pas content de l’accueil lui réservé. Dans son discours au Palais, il s’en est pris vertement aux prêtres catholiques, ses détracteurs qui, selon lui, intoxiquaient le peuple avec des propos discourtois envers le Grand Chef des lundas. Le Père Joseph me rapporte qu’il ne montra aucun intérêt à répondre à ce discours, il ne se tracassa outre mesure. Cette attitude décontenança davantage le Grand Chef. Mais il ne pouvait encore rien faire, il fallait attendre une bonne occasion. Et le jour arriva. C’était un dimanche de Pâques, quand le conflit éclata. A l’origine, un fait anodin d’un message phonique remis au Grand Chef sans le mettre sous enveloppe. Le Grand Chef répliqua immédiatement en envoyant deux policiers reprocher aux Pères leur manque de courtoisie. Et sans aucune autre forme de procès, un catéchiste et des chrétiens proches des Pères sont pris en otage au Palais, ils sont matraqués, rudoyés…Il s’agit du catéchiste MUTIY, de Ndebel et de Way Way.
Le Père Joseph qui était invité à une fête de première communion dans une famille à Musumba y perçut de nouveau une provocation, il garda une fois de plus son calme. Tandis que la Père Paul ne toléra point cette intervention brutale du palais sur l’innocent catéchiste. Il fallait faire quelque chose pour l’infortuné Mutiy. De Ntita où il se trouvait, Père Paul décida d’aller à Musumba pour se rendre compte de la situation. Le Père venait de stationner sa Land Rover devant la Paroisse Notre Dame de Fatima quand, très vite, un policier de la cour impériale vint se planter devant le véhicule : « Fini, dit-il au Père, vous ne pouvez plus bouger ». C’est là que le Père Jef appelé à la rescousse vint intervenir énergiquement en bousculant le policier devant la foule ébahie. Le Commissaire de Zone arriva sur les lieux échauffés. Avec le concours des militaires et de la foule elle-même, on libéra non seulement les otages chrétiens Mutiy, Ndebel et Way Way mais aussi les autres prisonniers détenus dans le cachot de la Collectivité Mwant Yav. Ce jour-là, le Grand Chef fut exposé à la risée de toute la population, il fut hué et chahuté par la population à cause de son comprtement souvent décrié.
Les relations entre la mission et le Palais furent gelées, il faudra attendre plusieurs mois avant de voir le ciel s’éclaircir entre les deux pouvoirs.
9.3.2.2. LE PERE JOSEPH ET LA GUERRE DE 80 JOURS
« La vertu est infatigable ».
Le 08 mars 1977, éclatait dans la Sous-région du Lualaba la guerre qu’on a nommée plus tard ‘Guerre de 80 jours’. Elle était menée contre le régime de Mobutu par des anciens gendarmes Katangais réfugiés en Angola depuis 1963. Ils retournaient en force sur le sol de leurs ancêtres. Ils attaquèrent simultanément les zones de Dilolo, Sandoa et Kapanga et mirent en déroute les forces de l’armée régulière de Mobutu.
Lorsque la guerre éclata à Kapanga, le Père Joseph s’était rendu à Kateng, village situé à 18 Km, au nord de Musumba, avec la chorale paroissiale KUSENG. Rentré à la cure de Fatima, il trouva bel et bien les gendarmes Katangais éparpillés partout dans le village. Les temps n’étaient plus sans doute à la rigolade, mais il ne fallait pas encore s’alarmer. En effet, en ces premiers jours de l’occupation rebelle, il ne se manifesta point une quelconque allure de brutalité et de violence envers la population et envers les missionnaires expatriés : les gendarmes Katangais se montrèrent disciplinés et respectueux. Mais toujours est-il qu'ils ne manquaient pas leur rendez-vous inopportun de mendicité quotidienne à la mission Ntita, à la Paroisse de Musumba et chez les Américains à la mission méthodiste Kayek. Il ne fallait pas trop résister à leur rendre l’obligatoire charité… Entre temps, sur le terrain de combat, les forces Katangaises progressaient de succès en succès vers Mutshatsha, et qui sait, allaient-elles bientôt conquérir Kolwezi, et puis Lubumbashi, objet de leurs rêves ! Cet espoir s’estompa lorsque, après un combat acharné dans la plaine de Kamoa près de Kanzenze, les rebelles s’agenouillèrent devant la puissance marocaine de feu venue à la rescousse de l’armée zaïroise. L’heure de la débandade dans les rangs des rebelles Katangais avait sonné. A partir de ce moment, le calvaire allait commencer à Kapanga. Les gendarmes libérateurs se transformèrent en farouches pillards. C’est dans ces circonstances que le médecin méthodiste américain ESTRUFF fut assassiné par eux, le 19 mai 1977 près du village MWANA-KAJ sur la route Sandoa-Kapanga. Il était accusé de détenir des appareils radiophoniques avec lesquels il communiquait avec les forces gouvernementales. Quant aux prêtres catholiques, qui étaient la plupart des belges, ils étaient tenus à l’œil. Il n’était plus permis au curé de Musumba de circuler encore comme aux premiers jours de l’occupation où il pouvait rendre visite à ses confrères de Ntita ou à ses ouailles. Les rebelles venaient de perdre la guerre, ils devaient se retirer de nouveau en Angola d’où ils étaient venus. De gré ou de force la population devait les suivre en exil. Les missionnaires catholiques et méthodistes, unis cette fois-ci par les circonstances tragiques, dénoncèrent cette déportation forcée de la population, dans une lettre qu’ils adressèrent au Délégué de l’ONU à Kinshasa en date du 05 juillet 1977. Ils écrivirent ce qui suit :
« Ils (les rebelles) avaient des instructions bien précises, entre autres, emmener bon gré, malgré, le plus grand nombre possible des gens de l’autre coté de la rivière Kasaï sur territoire angolais pour avoir une preuve éclatante que le Régime au Zaïre est insupportable… Les rebelles accompagnaient la foule et la dirigeaient où ils voulaient : direction Angola ». (Archives de la Paroisse de Musumba)
De l’avis de beaucoup, il s’agissait là d’une lettre de ressentiment contre les rebelles suite à des situations pénibles endurées par les missionnaires, car le Régime Mobutu n’était pas défendable. Et puis la population elle-même explique que beaucoup de gens avaient peur des représailles de l’armée de Mobutu qui considérait tous les lundas et les chokwe comme des rebelles. Le ‘Kamanyola’ (soldat de Mobutu) est sans pitié : il pille et tue sur son passage.
Dans le combat final, avant le retrait des rebelles en Angola, la date du 19 mai 1977 fut très tragique pour l’armée zaïroise : c’est le jour où gendarmes Katangais et militaires zaïrois s’empoignèrent dans un combat extrêmement sanglant à Kateng, au nord de Musumba. Les Katangais avaient tendu aux ‘Kamanyola’ une embuscade, beaucoup de ceux-ci y laissèrent leur vie. Mais pour l’armée zaïroise, alea jacta est, il ne fallait plus reculer, elle reprit très vite le dessus pour bientôt s’avancer vers le front de Musumba. Les larmes aux yeux, la mort dans l’âme, il fallait affronter l’équation Musumba à 18 Km du lieu de l’hécatombe. Dans la Capitale de l’Empire, de fait, les rebelles jouaient encore leurs dernières cartes. Les missionnaires vécurent des moments difficiles. Le Père Joseph n’a pas oublié ces jours de danger permanent. Il nous raconte :
« Avant leur départ, les rebelles sont venus chez moi, non plus en amis, cette fois-ci. Ils me demandèrent de leur donner des vivres et des habits. Ils étaient étonnés que je sois si démuni. – Vous n’avez que ça ? Où avez-vous caché d’autres habits ? Gare à vous !
- Je ne possède pas grand-chose, je n’ai que ça. M’enfin, j’ai encore, si vous voulez, une veste à la mission de Ntita.
- On va la chercher, cette veste, retorquèrent les rebelles.
Alors ils embarquèrent le Père sur leur jeep décapotée pour aller chercher ce dernier trésor à Ntita. La population qui voyait cela, n’augura rien de bon pour l’infortuné missionnaire, on le conduisait certainement à sa mort. C’était le 20 mai 1977. Mais à Ntita, la situation que le Père Jef (qu’accompagnaient ses ravisseurs) trouva était autant tendue : on lui raconta que le Père Paul, le Père Jacques et les sœurs larmoyantes étaient tous faits prisonniers des rebelles et conduits à Musumba à l’hôtel de la Paix. Plus tard, ces missionnaires rapporteront le récit du calvaire qu’ils y avaient vécu dans cette nuit du vendredi au samedi 21 mai. Les rebelles décidèrent de les emmener de force en Angola. Les Pères Paul et Jacques se virent obligés de payer une rançon pour leur liberté. Alors les ravisseurs renoncèrent à leur projet et les Pères purent rentrer à leur Mission. Pendant la nuit du samedi au dimanche 22 mai 1977, s’opérait la fuite des rebelles. Les missionnaires s’étaient terrés regroupés tous au couvent des sœurs. La Sœur Elise, propre sœur à Père Stevens Arnold et Piet, fut tellement traumatisée par ces événements qu’elle finit par perdre la tête. Mais rien de malencontreux n’arriva pendant cette longue nuit d’angoisse et de tous les dangers. Le lendemain matin, le Père Jef put déjà regagner sa paroisse de Musumba. Les rebelles étaient bel et bien partis tous.
Les zairois étaient à la porte de ce grand village déserté par sa population timorée. Il fallait anéantir ce repaire de rebelles, pensèrent les militaires de Mobutu encore sous le choc de l’embuscade de Kateng. Une pluie d’obus s’abattit sur le village, des avions de chasse de type Mirage déversèrent leur cargaison de bombes. L’assaut final était visiblement lancé. Puis un calme relatif s’en suivit. Le Père Jef était une de ces rares âmes qui respiraient encore à Musumba. On attendait une deuxième pluie des bombardements. L’épée de Damoclès pesait lourdement sur le village. On me détruira la Paroisse en même temps que le village, pensa le Père Joseph, il faut intervenir. Le Père décida d’entrer en jeu : il doit affronter le Kamanyola là où il se trouvait busqué, dans le maquis de la rivière RUPEMB. Il osa un acte de bravoure. Le voilà bientôt engagé sur la route de Kazol d’où venait le danger, avec sa mobylette et un drapeau blanc y attaché. Il espérait convaincre les Zaïrois d’entrer à Musumba sans trop de casses. Sur sa nerveuse kadap-dap (mobylette en langue lunda) qui emplissait de ses bruits le village silencieux, le Père partit à la rencontre des militaires de l'armée régulière. De temps en temps, un frisson d’angoisse le secouait ; il voyait défiler l’une après l’autre les maisons de sa chère paroisse, les reverrait-il encore ? Ce n'était pas certain. Il vivait-là, peut-être ses derniers jours sur terre. Il entre dans une voute des manguiers, les derniers arbres avant la menaçante rivière RUPEMB… et puis, hop !
- Stop-là, et mains en l’air, lui cria une voix.
Du coup, le Père était entouré des tuyaux de la mort. Musumba et sa Paroisse étaient maintenant bien loin, à 3 Km. Il fallait vivre la réalité présente et rassembler tout son courage. Instinctivement, le Père osa balbutier quelques mots :
- Hé ! Mes amies la guerre est finie, les rebelles ont tous fui de Musumba, FAZ OYEE !
Paroles magiques qui décrispèrent sur le coup la situation, les militaires se détendirent un peu, mais brusquement, prudence exige, un officier lança un cri d’alerte. Chacun reprit sa position initiale. Le Père fut conduit s’expliquer devant l’Officier – Commandant et déclina ses identités. L’Officier répercuta les informations par radiophonie à Kolwezi. Quelques moments s’écoulèrent. On annonça sur place l’arrivée d’un Général. L’hélicoptère qui l’emmenait atterrit quelques instants plus tard. On donna l’ordre au Père de faire demi-tour et repartir à Musumba.
- Non, repartit le Père, je préfère que nous avancions tous ensemble.
Le Père fut pris en otage pour le cas où il voudrait jouer au traitre. Avec prudence, suspicion, agilité et tactique, l’armée de Mobutu fit son entrée enfin dans la Capitale des lundas. Et on laissa partir le Père, notre héros qui, ce jour-là avait joué vraiment un cinéma périlleux et plein de suspens.
La guerre contre les rebelles était terminée, celle contre la population allait alors commencer, avec l’éternel refrain qu’elle devait continuellement entendre : ‘Bino ba rebelles’ (Vous les rebelles !). Des monstruosités vont se commettre contre ces inoffensifs civiles restés à Kapanga. Les couvre-feux seront des occasions des persécutions sans précédent. Maintes fois, le Père Joseph devra de nouveau intervenir auprès des officiers de l’Etat-major pour obtenir la libération de certaines victimes innocentes. Il y eut beaucoup de condamnations à mort ; et parfois, rapporte le Père, l’intervention des missionnaires était vaine. C’est le cas, par exemple du Directeur de l’école Primaire de Kambundu, Monsieur KAPEND MEDARD : il possédait un agenda personnel dans lequel il retraçait les événements de la guerre, jour après jour. Saisi avec ce document, il fut jugé de suspect. Transféré à la prison de Buluo près de Likasi, il fut exécuté sans aucune autre forme de procès.
Kapanga n’avait jamais connu l’armée. La voilà arrivée, et cette fois-ci, elle s’y installa définitivement. Les tiraillements entre les civiles et les militaires ne cesseront plus jamais. Le curé de Musumba sera toujours sollicité comme avocat de son peuple.
Père Joseph aura bientôt trente ans de vie missionnaire au Zaïre. Le gros de cette vie, il l’aura écoulé dans notre chère mission de Kapanga. C’est en 1989, après son séjour de quelques années à Sandoa et à Kalamba, qu’il est revenu à Ntita pour commencer une nouvelle Communauté sacerdotale avec le Père Paul Wey, l’Abbé Alain Ket et Patrick Neys, un jeune stagiaire belge. C’est là que nous avons découvert cette forte personnalité de Père Joseph CORNELISSEN. Il n’en est pas encore à ses dernières cartouches.
ANNEXES
EXCURSUS : LES ANNEES 70 ET L’EGLISE CATHOLIQUE
Le 15 aout 1974, le Mouvement Populaire de la Révolution (M.P.R) est institué en Parti-Etat. Cela entraina des conséquences incommensurables pour l’Eglise. Les années de 1971 à 1989 sont comme un caillou dans la mémoire de notre Eglise : ce sont des années où l’Etat zaïrois connaît des conflits interminables avec l’Eglise Catholique. L’Etat ne jure plus que par l’authenticité. Le clergé et les hommes politiques zaïrois s’affrontent régulièrement à différents échelons. L’illustration du sommet est celle du différend acre qui opposa le Cardinal Joseph MALULA au Président de la République Joseph MOBUTU. Le Président voulait réprimer avec force tout ce qui le contrariait. C’est le cas notamment des prises de positions de l’Eglise. Ainsi, pour lui priver de toute ascendance sur la jeunesse, les écoles et les Mouvements de jeunesse (scouts, Kiros etc.) lui furent soustraits le 29 novembre 1972. Tout le monde devenait membre du M.P.R .Et on clamait : Olinga, olinga te ; ozali na M.P.R. (Que tu le veuilles ou non tu es dans le M.P.R.). On décida de proscrire l’enseignement de la religion dans toutes les écoles au Zaïre ; à la place, on enseignerait le mobutisme, on arracha les croix des murs des classes… Avant de commencer les cours dans les écoles, on s’attardait d’abord à chanter la louange du Guide Mobutu et à danser. Même les plus hauts cadres dans les Entreprises devaient se trémousser au rythme de SAKAYONSA avant le travail : Le MPR avant tout, le reste après. C’est le slogan que tout le monde devait mettre en pratique. Dès le 15 février 1972, les prénoms chrétiens furent bannis.
La terreur, les injustices, l’exploitation du plus faible que soi, l’obscurantisme, le culte de la personnalité, la corruption, les détournements, le trafic d’influence, le népotisme voilà le lot des maux qui accompagnèrent la politique du monopartisme de Mobutu.
L’Eglise ne se laissa pas museler. Colette BRAECKMANS dans son ouvrage Le Dinosaure. Le Zaïre de Mobutu, à la page 175 écrit : « Le plus coriace adversaire de l’authenticité présidentielle, de sa dérive vers le culte de la personnalité et de ses injustices sociales fut l’Eglise Catholique ». A temps et à contre temps, l’Eglise continuera à prêcher sans crainte la Vérité de l’Evangile, certains Evêques publieront des lettres pastorales dans lesquelles ils dénigrent la politique corrompue du Régime en place. Malgré l’interdiction du cours de la religion dans les écoles, l’Eglise poursuivra son action catéchétique par les programmes de la pastorale extrascolaire. En février 1977, elle parvint à récupérer ses écoles, fortement endommagées. Il fallait reconstruire l’homme zaïrois, rééduquer la jeunesse, restaurer la morale et la religion chrétiennes, jusqu’aujourd’hui partout au Zaïre, le mal causé par ces années de folles turbulences politiques de l’authenticité mobutienne est irréparable.
9.4. LE PERE PAUL WEY FRANS (Interview 12 janvier 1992)
Le Père Paul est arrivé au Congo en mai 1966. Venant de la Suisse, il transita par la Belgique où il prit le bateau jusqu’au port de Lobito en Angola. De Lobito, il entra au Congo par Dilolo avant de rejoindre immédiatement Kapanga. Le Père Paul aime à répéter qu’il est un campagnard de naissance en Suisse : Il est fils d’un paysan d la région de Lucerne. Il est né en 1938, il avait 28 ans à son arrivée en terre de mission au Congo. Dès l’Europe, le Père s’était préparé à cet événement qui allait complètement changer sa vie : il a appris déjà le lunda en 16 leçons, il a fait connaissance avec la contrée de Kapanga par des photos, diapositives et autres cassettes des chants religieux.
Cet enthousiasme pour vite connaître la terre de son apostolat lui a permis de s’adapter facilement au milieu : « je n’ai pas eu de choc culturel, déclare – t- il ». A son ordination en Suisse, il avait même déjà mentionné sur sa carte souvenir : « PERE PAUL, MWIMPEL WA KUKALA MB ». Il vivait l’Afrique avant même d’y arriver. Il croyait qu’il travaillerait à Kalamba aux cotés de Père Albert IHLE, son ancien professeur et Père spirituel. Quand il arriva à Kapanga, on lui confia plutôt la brousse de l’autre rive de la Lulua (Ushad wa Ruruu), dans la direction opposée de Kalamba . Il se mit vite au travail à la découverte des villages congolais : « ces villages se ressemblent tous, remarqua-t-il lors de sa première visite, impossible de les distinguer les uns des autres. C’est toujours le même tableau : une route centrale, quelques chaumières, des enfants criards aux torses nus ou un vieillard qui s’étire sur sa natte devant sa case ensoleillée… ». Il visita, Chamba, Samukaz, Chibaba, Kambundu, Chibamba, Dining, Murub, Samupang, Masak, Muyej etc. Au total lors de ce premier périple, il prit contact avec 26 villages.
L’esprit de son Saint Patron Paul, allait désormais l’impulser. Il ne se limitera pas à visiter les communautés déjà fondées. Au long des années, il commencera lui-même de nouvelles communautés chrétiennes. Il a établi au total 120 villages-chapelles dont 36 couvertes des tôles. Son désir le plus ardent serait de continuer à implanter des églises en matériaux durables et en tôles, avec l’aide généreuse de la Suisse, sa chère Patrie. Mais le Père, raconte qu’il a rencontré l’opposition de la hiérarchie provinciale de sa Congrégation au Zaïre qui lui a demandé d’arrêter des actions isolées et privilégier une pastorale d’ensemble. C’est avec beaucoup de peines qu’il a cédé à cette volonté, car cette action ne se poursuivra certainement plus avec la même ampleur. Qu’importe ! Le Père poursuit l’évangélisation : il implante partout des groupes des légionnaires et des Kiros ; pendant des mois il disparaît dans les makunk (villages de brousse) prêchant, buvant et mangeant ce que la population lui sert.
Dans sa pastorale, il a une conception très large du salut apporté par le christ. Il donne les sacrements au plus grand nombre que possible y comprit aux femmes des polygames. Interrogé à ce sujet, il nous répond : « Certains hommes ont des deuxièmes femmes, surtout les chefs des villages. Ces femmes sont souvent très respectueuses et pieuses. Pourquoi ne pas les baptiser et les accepter à la Sainte Communion. Dans l’Eglise, on laisse communier les prostitués célibataires et on écarte avec acharnement des femmes sérieuses parce qu’elles sont deuxièmes femmes. Ce n’est pas normal »
Le Père vient de totaliser 25 ans de pastorale de brousse. Tel que nous l’avons dit, nous le voyons encore plus à l’aise dans ses voyages de brousse qu’à la mission de Ntita. Une fois il est tombé gravement malade, il fallait aller le récupérer en pleine brousse de Chibamba : Il eut encore le temps d’écrire, alors qu’il était sous une forte pression de diarrhée et vomissement, qu’on lui amène à cette même occasion des clous, des tôles et des tas de ferrailles dont il aurait besoin quand il serait guéri. – « Laisse tombé, dit le Père Martin au chauffeur, il faut aller vite le chercher pour le sauver d’abord du danger, le reste, on verra plus tard ». Le Père Martin avait bien raison, on le ramena à la grande Mission dans un piteux état de moribon. Bien sur, il s’impatientait de sa guérison qui ne tarda pas à venir. Et le revoilà sur la route pour rencontrer ses ouailles de la brousse. Il se plaignait toujours du temps perdu pour les voyages de ville où on avait besoin de lui à Kolwezi ou à Lubumbashi (Par exemple, pour le Chapitre provincial). Le Père Paul est devenu, selon ses propres termes, ‘un broussard enthousiaste’ : il aimerait poursuivre, jusqu’à sa mort, ce travail qui le passionne tant.
Envers la population de Kapanga et d’ailleurs, le Père a toujours manifesté un grand cœur, il ne reste pas indifférent à la misère des pauvres. Il est l’ami des indigènes qui emplissent son véhicule ou son bureau de Ntita. Le Père est généreux non seulement pour les sacrements mais aussi pour les besoins matériels des gens.
Il n’est pas seulement voyageur. Père Paul écrit abondamment dès qu’il se trouve à la mission. Ses publications parcourent les villages et leur portent les informations sur bien des points : KILU est le feuillet destiné aux Kiros, une publication pour les Légionnaires, tandis que KUVARAKAN, feuillet commencé par le Père Caris a continué sous le Père Paul transmettant les informations les plus diverses, il existe aussi un feuillet de lecture de la Bible destiné aux CEV, il a écrit des brochures d’informations diverses sur les Saints ou des brochures – Missel utilisées depuis 1977 dans la liturgie lunda à Kapanga jusqu’aujourd’hui. Il passa des heures à dactylographier : à partir de 4 heures du matin vous entendez dans sa chambre la machine à écrire crépiter.
Quant au travail manuel, c’est aussi un as, il se donne à cœur joie à cultiver le jardin. De même en pastorale à la mission, il accueille, écoute, conseille. Il lit abondamment les journaux internationaux. C’est à se demander où est-ce qu’il trouve tout ce temps
D’autre part, on est étonné par ses croyances. Il raconte des histoires farfelues des monstres et des fantômes d’Afrique ou de Suisse. Jamais vous n’allez le convaincre de ne pas y prêter foi. Voyez-le consulter sa pendule magique : il vous donne des informations et des messages ésotériques, y compris ceux du ciel. Un jour il parvint à guérir un enfant maladif par cette procédure-là : dans un entretien qu’il eut avec la mère de l’enfant, il la conseilla sérieusement de changer tous les noms de l’enfant ; car, fit remarquer le père Paul l’enfant portait les noms d’un ancêtre méchant. La mère s’exécuta, et l’enfant s’en trouve définitivement guéri. C’est avec sourire aux lèvres que j’écoutais raconter le Père HELVETIQUE ce que je qualifiais comme « des contes des fées
CONCLUSION
A l’instar de son sain Patron de Tarse, le Père Paul a su mettre en symbiose sa plume facile et son amour pour les voyages missionnaires à travers la zone de Kapanga.
Son œuvre se poursuit ...
5. LES AUTRES PRETRES DES ANNEES 70 ET 80
Après les années 1960, l’Europe n’envoya plus beaucoup de nouveaux prêtres à KAPANGA. Pour les deux décennies de 1970 et 1980, on enregistra l’arrivée de deux missionnaires seulement : Père Jacques HENKENS et Père Ian SZCPILKA.
9.5. PERE JACQUES HENKENS
C’est un belge arrivé en 1974 et ordonné prêtre en 1976 à la mission Ntita. Dès son arrivée, il se mit sérieusement à l’apprentissage de la langue lunda et à l’intégration dans cette culture. C’est ce qu’il va réussir à faire. Il parlera assez parfaitement le lunda et même il se sentira désormais capable de se lancer dans la traduction de la Bible en lunda ensemble avec le Pasteur méthodiste américain WOLFORD et une équipe des nationaux. Les catholiques devaient plutôt beaucoup plus s’occuper des livres Deutéro –Canoniques. Le Père travaillera longtemps à Kapanga, il sera successivement Curé à Ntita, puis à Musumba. Grace à son savoir-faire en mécanique et électricité, il rendra des services remarquables dans les deux paroisses où il a travaillé à Kapanga. Il construisit entre autre, une petite centrale électrique sur la rivière Raz pour éclairer la mission Ntita. En 1989, il fut transféré à Kolwezi.
9.6. PERE IAN SZCPILKA
C’est un polonais arrivé à Kapanga en 1980. Après avoir parcouru les Communautés chrétiennes de l’autre rive de la Lulua, il fut nommé Curé de la Paroisse de Kalamba. C’est là qu’il travaille encore jusqu’aujourd’hui.
Alain Kalenda Ket
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