lundi 30 novembre 2015

Les origines de l'Ethnie Luena appelée aussi Luvale

Le peuple Luena autrement appelé Luvale vit, en grande partie, dans trois pays qui sont : la République démocratique du Congo, l’Angola et la Zambie. En République Démocratique du Congo on le retrouve au sud-ouest du pays dans la région de Dilolo et Kisenge ; en Angola c’est dans la province de Moxico à l’est du pays et en Zambie dans le Copperbelt.

Nous nous proposons ici de raconter les origines des luena, car très peu de documents existent à leur sujet. Nous avons, pour cela, retrouvé quelques éléments historiques récoltés par les colonisateurs belges qui ont administré la contrée de Dilolo et Kisenge en République Démocratique du Congo. Il s’agit de l’Administrateur territorial FFons dont les documents retrouvés ont été écrits en 1916 à KAYOYO, des Administrateurs territoriaux de Malonga Claeys BOUMAERT en 1934, STEYLEMANS EN 1949, du Commissaire de District de Lulua (actuellement District du Lualaba) VAN DEN BYVANG qui ont rédigé des rapports ou autres documents sur les problèmes d’administration et de gestion des peuples de Dilolo. Nous avons aussi consulté quelques ouvrages et interrogé quelques anciens comme le luena MUHUNGA Venance.

L’AT FFons écrit entre autre ce qui suit : « Jusqu’à présent (en 1916), les baluenas avaient été considérés comme constituant une tribu ou race distincte, d’origine angolaise, aujourd’hui, par suite des recherches, il est démontré que les baluenas sont tous d’origine Lunda et que par suite de dissidence de Tshiniama, fondateur de la tribu baluena, ils se sont alliés aux batshiok ».

La narration issue de la tradition rapporte que Chinyam avait quitté la Nkalany après l’altercation historique des fils et filles de Nkond. En effet, Chingud a Nkond, Ndondj a Nkond, et Chinyam a Nkond étaient furieux du fait que leur sœur Ruwej a Nkond avait cédé le Rukan (l’anneau qui symbolise le pouvoir) au chasseur étranger d’origine luba, Chibinda Ilunga. Les trois frères et d’autres personnes encore décidèrent de partir de Nkalany (cfr Ngand yetu pp 12 et ss)[1] et émigrer vers d’autres cieux.

L'actuelle Ruwej réside à Musumba (R.D. Congo)
 
Steylemans est plus précis sur les deux branches des Luena (Luvale). D’une part, il y a Tshinyama Lujila et d’autre part il y a le neveu de Tshinyama appelé KAPUMBA qui prendra le nom de KATENDE. L’oncle et son neveu entamèrent la migration qui les conduisit à la rivière KAMALENGE, affluent de LULUA.  Les fils de Tshinyama qui étaient d’abord restés à Nkalany rejoignirent les migrants à cette étape. Il s’agit de KAKENGE et de TSHIVUNDA. LUJILA Tshinyama étant vieux mourut à cette première étape. KAPUMBA KATENDE est soupçonné par les fils de TSHINYAMA d’avoir causé cette mort (sorcellerie). La mésentente a commencé alors entre la branche KATENDE et la branche TSHINYAMA, mais ils continuent leur route ensemble. Ils s’établissent successivement à la KAVUNGA, affluent de la DEMBO, puis à la KATUKA NGONI, affluent de la DEMBO KAKESE, à la TSHIMBUMBULU, affluent de la LUAKANO. Finalement, TSHIVUNDA qui a pris le nom de TSHINYAMA TSHA MUKAMAYI se détache de KAPUMBA KATENDE et poursuit la route vers la rivière LUENA, affluent du ZAMBEZE. Le nom de LUENA collé à cette ethnie provient donc de cette rivière qui était l’objectif final de la migration.


A.    LA BRANCHE KAPUMBA KATENDE

Il est établi que le pouvoir de Nkalany où régnait RUWEJ ne laissa pas tranquille KAPUMBA KATENDE. Il fut l’objet des attaques pour l’obliger à renoncer à la migration. Mais il résista victorieusement et poursuivit sa pérégrination : rivière KUMBA, affluent de LUNGEVUNGU, rivière MWALE, affluent de LUKULU, KONDE, île du Kasaï que KATENDE choisit en raison de sa position stratégique.  Finalement Nkalany se fatigua de cette guerre et renonça aux hostilités. Ruwej envoya des émissaires auprès de KATENDE, porteurs des cadeaux. Ces émissaires rapportèrent le souhait qu’avait Ruwej d’inviter KATENDE à NKALANY. Méfiant, KATENDE envoya sa parente NATSHUMBA pour s’enquérir de la situation réelle : TSHIBINDA régnait-il toujours ? NATSHUMBA emportait aussi des cadeaux pour RUWEJ. TSHIBINDA n’était plus à Nkalany le pouvoir était transmis à son fils YAVA, celui qui deviendra le premier MWANT YAV. Et c’est YAV qui reçut les cadeaux destinés à RUWEJ. Il les considéra comme un tribut lui payé par ceux qui avaient émigré. Les émissaires revinrent rapporter ces faits à KATENDE qui décida de rompre définitivement et irrévocablement avec la Nkalany. KAPUMBA KATENDE mourut âgé à KONDE où le groupe s’était fixé longtemps.
TSHIKUMBA, puis KONGOLO lui succèdent et meurent tour à tour.
 MUTUMBA fut le quatrième chef des KATENDE. Il quitta KONDE pour KALOMBA, il y meure ainsi que ses successeurs KASONGO et TSHIKUMBI.
NGONGA, septième chef KATENDE s’installe et meurt à la KANGA.
MUTEBA, huitième chef occupe successivement les emplacements suivants : rivière KATSHINANI, affluent de LUASHI, rivière TSHIPENGO PENGO, affluent de la LULUA, rivière DILOLO, affluent de la LULUA où MUTEBA meurt.
MUTEBA KALIPA, neuvième chef s’installe à MULILA, affluent de la LUASHI, à la LUKHAU, affluent de la LUAO, au Congo, il y meurt
TSHIKOMBA, dixième KATENDE, il est investi à LUKHAU. En 1918, MWANT YAV vint pour une tournée dans cette région et veut forcer ce chef à lui payer tribut. L’E.I.C soutient la prétention de MWANT YAV, mais TSHIKOMBA s’y soustrait en émigrant en Angola où il s’installe sur la rivière KASUKA, sous-affluent de LUASHI. Il revint plus tard au Congo-Belge et s’installa à la KANIEMBA. Mais TSHIKOMBA reste fermement décidé de se retirer en Angola si sa dépendance au MWANT YAV venait de nouveau à être envisagée. Il était revenu au Congo parce que il avait été frappé par le chef de Poste de CAYANDA. Il mourut à KANIEMBA en 1926. Une source tout à fait indépendante raconte cet événement de non-soumission de TSHIKOMBA au MWANT YAV : « En effet depuis la colonisation le chef KATENDE n’avait jamais payé tribut au MWANT YAV, ni n’a jamais été investi coutumièrement par ce dernier. Il ne lui reconnaissait presque pas d’autorité sur lui. L’épisode suivant est à ce titre significatif. Lors de la visite de MWANT YAV MUTEB à Dilolo en 1918, un conflit opposa les deux chefs indigènes… Après un certain temps, KATENDE envoya un émissaire au chef MWANT YAV afin d’arranger une entrevue entre les deux personnages. Le MWANT YAV  accepta mais à condition que KATENDE, pendant l’entretien, ne puisse s’asseoir sur une chaise devant lui comme il se doit. KATENDE fit répondre qu’il ne voulait pas être traité comme un esclave et partit le même jour pour l’Angola, d’où il revint seulement en août 1925. » [2]


Katende Tshipoy
Le successeur de TSHIKOMBA   fut LIKENIA TULUMBA surnommé SATSHILEMBE. Il est le frère propre de TSHIKOMBA et de MUTEBA KALIPA. SATSHILEMBE fut coutumièrement vrai KATENDE mais il ne fut pas investi. Il mourut en 1946. Avant de mourir,  il avait désigné son successeur coutumier en la personne de TSHIKAMBI TSHA TSHILOMBO alias MUKENDENGE Jean qui hérita le LUKANO. MUKENDENGE fut remplacé par KAPALU, puis TSHIPOYI, chef en 1947.

B.      LA BRANCHE DE TSHINYAM
Comme nous l’avons dit plus haut, TSHIYAMA poursuit sa route vers LUENA l’affluent de ZAMBEZE. Il s’établit d’abord sur la MAHONGO après une bataille victorieuse contre les WANDJENDJI. Après sa mort, il est remplacé par son neveu TSHITETA TSHINYAMA dans les années 1740. Celui-ci est succédé à son tour par son frère KAYENGE KAKENGE VERS 1760, suivi de ZENGO ZENGO. A ZENGO ZENGO succéda TSHIVUNDA TSHA KOTSHI qui fit la guerre aux BALUTSHATSHA établis sur la KANASHI, affluent de la LUENA. Il fut vainqueur. Après la mort de TSHIVUNDA, le pouvoir est donné à KALIPA KAUMBA TSHINYAMA, succédé par le chef KAWIZA TSHITETA qui régnait encore en 1947.
Au temps de TSHIVUNDA, on raconte cette histoire d’usurpation de pouvoir par des fils et filles d’esclave.

L'actuelle Nyakatolo réside en Angola à Luena (Moxico)

NYAKATOLO, sœur de TSHIVUNDA, et détentrice de l’anneau impérial (LUKHANO) des TSHINYAMA, avait une fille nommée MAHONGO. TSHIVUNDA maria sa nièce MAHONGO à un de ses notables ZENGELA. MAHONGO mourut très jeune et TSHIVUNDA TSHINYAMA réclama à ZENGELA des dédommagements suite à ce décès. ZENGELA donna alors une jeune esclave pour ce motif. Elle s’appelait KATAMBU. TSHIVUNDA la débaptisa pour l’appeler MAHONGO, en souvenir de sa nièce et décida même de l’affranchir. Plus tard, il la donna en mariage à KAHILU, un de ses notables. MAHONGO II et KAHILU eurent sept enfants : TSHISESU(m), KAYAMBA TSHIYAZE(m), KUTEMBA (f), KAYANDA(f), MWANA KAJILA(m), KAFUNDANGA(m) et KALUMBU(f). Devenus adultes, ces enfants voulurent prétendre au trône, c’est alors que TSHIVUNDA les traita d’esclaves et leur apprit l’histoire de MAHONGO II. Une dispute s’en suivit. TSHIVUNDA se vit obligé de les chasser tous. TSHISESU et ses frères et sœurs et toute la descendance s’en allèrent ailleurs.

 
TSHISESU créa sa lignée de royauté. La tradition raconte qu’avant l’arrivée des européens TSHISESU TSHIFUNGA KAKOMA et son frère TSHISESU KAFUNDANGA s’établirent sur la rivière LUMESHI, vers la région de l’actuelle province de MOXICO. Ayant entendu parler des ressources du pays des LUNDAS, ils vinrent s’en rendre compte et arrivèrent ainsi dans la région de la DEMBO, au nord de DILOLO où ils trouvèrent chasse et divers autres produits. L’expédition terminée, ils retournèrent vers leur région d’origine. TSHISESU fut attaqué par son voisin KANGOMBE qui voulut s’emparer de son pouvoir.
TSHISESU appela au secours MWAKANDALA et KANGOMBA fut battu. Suite au non-dédommagement envers le MWAKANDALA qui avait contribué à la victoire des TSHISESU, une autre guerre éclata. Cette fois-ci TSHISESU se tourne vers d’autres TSHOKWE et parvint à infliger une défaite à MWAKANDALA, aidé aussi par son frère KAYAMBA TSHIYAZA. KAYAMBA mourut et succédé par son neveu du même nom KAYAMBA qui prit le nom de TSHILEMO MUZALA. Tout ceci se passe en Angola. C’est TSHILEMO MUZALA qui quittera enfin KASUMBI pour s’installer au Congo Belge au bord de la rivière KAMIANDA, sous affluent de la MUTANGALA.
MUZALA TSHILEMO eut comme successeur TSHILEMO TSHINDJANDJA. Celui-ci connaitra des disputes avec la branche KATENDE. Des maisons furent brûlées de part et d’autre. En 1915, le groupement TSHILEMO est constitué en Sous-chefferie par les colonisateurs. En 1926, TSHILEMO TSHISENGA alias KAFWANDA est nommé sous-chef, mais il est révoqué en 1929. KAJIKA TSHILEMO prend sa place. Il mourra en 1936. Son successeur TSHILEMO TSHIPOYI eut la chance d’être médaillé la même année (1936).
Le rapport des colonisateurs de 1926 nous renseigne que le groupement qui porte le nom de KATENDE aurait dû être scindé en deux : il y aurait eu deux investitures, celle des luena de SATSHILEMBE et LUFUPA de la lignée de KATENDE KAPUMBA et celle des luena de TSHILEMO lié à TSHINYAMA. L’Administrateur Territorial écrit qu’il était occupé à la réunification des groupements aluena de Dilolo et de Luashi en vue de l’investiture d’un seul chef, le candidat KATENDE-SATSHILEMBE. Mais TSHILEMO refusa de se soumettre et de partager le pouvoir avec KATENDE tout comme il ne pouvait tolérer, par ailleurs, d’être soumis au pouvoir du MWANT YAV auquel les colonisateurs voulaient l’annexer. Cette situation va retarder l’organisation de cette entité en chefferie.
Voilà comment s’est effectuée l’occupation des terres par les Luena : ils restent jusqu’à ce jour éparpillés entre trois pays : l’Angola où ils arrivèrent lors de la dispersion de la Nkalany, la R.D. Congo où ils ont conquis des terres et la Zambie, lieu d’expansion où l’on trouve des rivières significatives liées à cette tribu de la Zambèze et de Luena. Originairement lundas, d’après l’histoire que nous avons contée partant des sources coloniales, ou autres orales et écrites, les luena ont eu, pendant leur migration, beaucoup de contacts avec d’autres peuples qu’ils rencontraient sur leur route. Il s’agit notamment de leur voisinage avec les tshokwe,  les ndembo et les minungu.

Il faut noter que pendant cette période, néfaste aux lunda, les luena mettent l’emprise sur toute la région située au sud et au sud-est de la rivière Luao et de Kanduku. Devant les sous-chefs lunda, ils invoquent toujours le droit du premier occupant. D’où, leur insoumission au Mwant Yav. L’histoire nous apprend, par ailleurs que, bien avant 1875, la région de la Dembo, au nord de Dilolo, relevait déjà de l’autorité exclusive de Mwant Yav qui s’était peu à peu avancé jusqu’à la Luao où il installa le chef lunda KALENDA et jusqu’à la Kanduku où il plaça le chef lunda SAKALWILE. Poussant plus loin, on arrive à la Lovua, où est installé TSHISANGAMA. Un autre lunda, Kazembe Mutanda occupe la haute LUKOSHI avec une partie du bassin gauche de la MUKULWESHI. L’empoignade pour l’occupation fut donc inévitable entre les peuples lunda, luena, ndembo, minungu, et tshokwe. Les alliances entre eux se font et se défont : par exemple, TSHINYAM, TSHILEMO et KATENDE tous chefs luena, alliés aux tshokwe, marchèrent contre les ndembo des chefs KAWEWE, SHINDI, KANONGESHA et KAZEMBE. SHINDI et KANONGESHA furent battus et faits prisonniers. Rassurés par ces expéditions victorieuses, les luena demandent en 1916 à SUWOLA, frère de KAWEWE   de leur rendre tribut. SUWOLA refusa et fut, de ce fait, attaqué par TSHINYAMA allié à KANGOMBE. Ceux-ci furent battus complètement par SUWOLA qui fit prisonnier le frère de TSHINYAMA. De son côté, KATENDE  attaqua KAZEMBE. TSHILIAMUTONDO et d’autres frères de SUWOLA lui volèrent au secours : KATENDE ne se risqua pas à une grande bataille et se contenta de faire la rafle des esclaves chez les ndembo.

Après plusieurs années de petites guerres entre ndembo et luena, ils firent tous alliances pour vivre en paix.
Les guerres, les alliances entre ces différentes tribus auront, bien sûr, des répercussions aussi bien négatives que positives. Des rancunes vont se perpétuer de génération en génération entre elles. Mais les mœurs et les langues vont, d’autre part, s’enrichir et se ressembler les unes des autres. Il est bien entendu que ces ressemblances ne sont pas dues simplement et exclusivement aux contacts entre ces peuples, mais aussi et surtout à leur origine commune. Par exemple, entre les lunda et les luena, on ne s’y trompe pas : le lukhano, les anneaux aux chevilles, la peau du lion ou du léopard pour les pieds du chef, le kalombo, formule de politesse qui sort de la bouche des sujets soumis au chef ; kalombo s’effectuant en se jetant de la terre d’humilité les avant-bras… tout cela n’est étranger ni aux lunda, ni aux luena, c’est leur culture d’origine commune. La diaspora n’a rien altéré chez les fils et filles venus de la NKALANY vivant aujourd’hui chez eux, en province de Moxico en Angola, sur les terres de la luao à Dilolo, de la Luashi à Kisenge en R.D. Congo ou du Zambèze en Zambie.

Alain KALENDA KET

 




[1] L’ouvrage Ngand yetu a été rédigé en 1963 par Madame A. E. Lerbak, Daniel Munung, André Nawej et Jean Mij de la Mission Méthodiste de Musumba à Kapanga
[2] KAPEND KAMAND, l’impact de l’administration coloniale sur les structures socio-politiques des Aruund (1896-1960), Mémoire de Licence, Département d’Histoire,  UNILU, 1986, p.71, inédit.

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