Nous nous proposons ici de raconter les origines des luena,
car très peu de documents existent à leur sujet. Nous avons, pour cela,
retrouvé quelques éléments historiques récoltés par les colonisateurs belges
qui ont administré la contrée de Dilolo et Kisenge en République Démocratique
du Congo. Il s’agit de l’Administrateur territorial FFons dont les documents
retrouvés ont été écrits en 1916 à KAYOYO, des Administrateurs territoriaux de
Malonga Claeys BOUMAERT en 1934, STEYLEMANS EN 1949, du Commissaire de District
de Lulua (actuellement District du Lualaba) VAN DEN BYVANG qui ont rédigé des
rapports ou autres documents sur les problèmes d’administration et de gestion
des peuples de Dilolo. Nous avons aussi consulté quelques ouvrages et interrogé
quelques anciens comme le luena MUHUNGA Venance.
L’AT FFons écrit entre autre ce qui suit : « Jusqu’à présent (en 1916), les baluenas
avaient été considérés comme constituant une tribu ou race distincte, d’origine
angolaise, aujourd’hui, par suite des recherches, il est démontré que les
baluenas sont tous d’origine Lunda et que par suite de dissidence de Tshiniama,
fondateur de la tribu baluena, ils se sont alliés aux batshiok ».
La narration issue de la tradition rapporte que Chinyam avait
quitté la Nkalany après l’altercation historique des fils et filles de Nkond.
En effet, Chingud a Nkond, Ndondj a Nkond, et Chinyam a Nkond étaient furieux
du fait que leur sœur Ruwej a Nkond avait cédé le Rukan (l’anneau qui symbolise
le pouvoir) au chasseur étranger d’origine luba, Chibinda Ilunga. Les trois
frères et d’autres personnes encore décidèrent de partir de Nkalany (cfr Ngand
yetu pp 12 et ss)[1] et
émigrer vers d’autres cieux.
Steylemans est plus précis sur les deux branches des Luena
(Luvale). D’une part, il y a Tshinyama Lujila et d’autre part il y a le neveu
de Tshinyama appelé KAPUMBA qui prendra le nom de KATENDE. L’oncle et son neveu
entamèrent la migration qui les conduisit à la rivière KAMALENGE, affluent de
LULUA. Les fils de Tshinyama qui étaient
d’abord restés à Nkalany rejoignirent les migrants à cette étape. Il s’agit de
KAKENGE et de TSHIVUNDA. LUJILA Tshinyama étant vieux mourut à cette première
étape. KAPUMBA KATENDE est soupçonné par les fils de TSHINYAMA d’avoir causé
cette mort (sorcellerie). La mésentente a commencé alors entre la branche
KATENDE et la branche TSHINYAMA, mais ils continuent leur route ensemble. Ils
s’établissent successivement à la KAVUNGA, affluent de la DEMBO, puis à la
KATUKA NGONI, affluent de la DEMBO KAKESE, à la TSHIMBUMBULU, affluent de la
LUAKANO. Finalement, TSHIVUNDA qui a pris le nom de TSHINYAMA TSHA MUKAMAYI se
détache de KAPUMBA KATENDE et poursuit la route vers la rivière LUENA, affluent
du ZAMBEZE. Le nom de LUENA collé à cette ethnie provient donc de cette rivière
qui était l’objectif final de la migration.
A. LA BRANCHE KAPUMBA KATENDE
Il est établi que le pouvoir de Nkalany où régnait RUWEJ ne
laissa pas tranquille KAPUMBA KATENDE. Il fut l’objet des attaques pour
l’obliger à renoncer à la migration. Mais il résista victorieusement et
poursuivit sa pérégrination : rivière KUMBA, affluent de LUNGEVUNGU,
rivière MWALE, affluent de LUKULU, KONDE, île du Kasaï que KATENDE choisit en
raison de sa position stratégique. Finalement
Nkalany se fatigua de cette guerre et renonça aux hostilités. Ruwej envoya des
émissaires auprès de KATENDE, porteurs des cadeaux. Ces émissaires rapportèrent
le souhait qu’avait Ruwej d’inviter KATENDE à NKALANY. Méfiant, KATENDE envoya
sa parente NATSHUMBA pour s’enquérir de la situation réelle : TSHIBINDA
régnait-il toujours ? NATSHUMBA emportait aussi des cadeaux pour RUWEJ.
TSHIBINDA n’était plus à Nkalany le pouvoir était transmis à son fils YAVA,
celui qui deviendra le premier MWANT YAV. Et c’est YAV qui reçut les cadeaux
destinés à RUWEJ. Il les considéra comme un tribut lui payé par ceux qui
avaient émigré. Les émissaires revinrent rapporter ces faits à KATENDE qui
décida de rompre définitivement et irrévocablement avec la Nkalany. KAPUMBA
KATENDE mourut âgé à KONDE où le groupe s’était fixé longtemps.
TSHIKUMBA, puis KONGOLO lui succèdent et meurent tour à tour.
MUTUMBA fut le
quatrième chef des KATENDE. Il quitta KONDE pour KALOMBA, il y meure ainsi que
ses successeurs KASONGO et TSHIKUMBI.
NGONGA, septième chef KATENDE s’installe et meurt à la KANGA.
MUTEBA, huitième chef occupe successivement les emplacements
suivants : rivière KATSHINANI, affluent de LUASHI, rivière TSHIPENGO
PENGO, affluent de la LULUA, rivière DILOLO, affluent de la LULUA où MUTEBA
meurt.
MUTEBA KALIPA, neuvième chef s’installe à MULILA, affluent de
la LUASHI, à la LUKHAU, affluent de la LUAO, au Congo, il y meurt
TSHIKOMBA, dixième KATENDE, il est investi à LUKHAU. En 1918,
MWANT YAV vint pour une tournée dans cette région et veut forcer ce chef à lui
payer tribut. L’E.I.C soutient la prétention de MWANT YAV, mais TSHIKOMBA s’y
soustrait en émigrant en Angola où il s’installe sur la rivière KASUKA,
sous-affluent de LUASHI. Il revint plus tard au Congo-Belge et s’installa à la
KANIEMBA. Mais TSHIKOMBA reste fermement décidé de se retirer en Angola si sa
dépendance au MWANT YAV venait de nouveau à être envisagée. Il était revenu au
Congo parce que il avait été frappé par le chef de Poste de CAYANDA. Il mourut
à KANIEMBA en 1926. Une source tout à fait indépendante raconte cet événement
de non-soumission de TSHIKOMBA au MWANT YAV : « En effet depuis la colonisation le chef KATENDE n’avait jamais payé
tribut au MWANT YAV, ni n’a jamais été investi coutumièrement par ce dernier.
Il ne lui reconnaissait presque pas d’autorité sur lui. L’épisode suivant est à
ce titre significatif. Lors de la visite de MWANT YAV MUTEB à Dilolo en 1918,
un conflit opposa les deux chefs indigènes… Après un certain temps, KATENDE
envoya un émissaire au chef MWANT YAV afin d’arranger une entrevue entre les
deux personnages. Le MWANT YAV accepta
mais à condition que KATENDE, pendant l’entretien, ne puisse s’asseoir sur une
chaise devant lui comme il se doit. KATENDE fit répondre qu’il ne voulait pas
être traité comme un esclave et partit le même jour pour l’Angola, d’où il
revint seulement en août 1925. » [2]
Le successeur de TSHIKOMBA
fut LIKENIA TULUMBA surnommé SATSHILEMBE. Il est le frère propre de
TSHIKOMBA et de MUTEBA KALIPA. SATSHILEMBE fut coutumièrement vrai KATENDE mais
il ne fut pas investi. Il mourut en 1946. Avant de mourir, il avait désigné son successeur coutumier en
la personne de TSHIKAMBI TSHA TSHILOMBO alias MUKENDENGE Jean qui hérita le
LUKANO. MUKENDENGE fut remplacé par KAPALU, puis TSHIPOYI, chef en 1947.
Katende Tshipoy |
B.
LA
BRANCHE DE TSHINYAM
Comme nous l’avons dit plus haut, TSHIYAMA poursuit sa route
vers LUENA l’affluent de ZAMBEZE. Il s’établit d’abord sur la MAHONGO après une
bataille victorieuse contre les WANDJENDJI. Après sa mort, il est remplacé par
son neveu TSHITETA TSHINYAMA dans les années 1740. Celui-ci est succédé à son
tour par son frère KAYENGE KAKENGE VERS 1760, suivi de ZENGO ZENGO. A ZENGO
ZENGO succéda TSHIVUNDA TSHA KOTSHI qui fit la guerre aux BALUTSHATSHA établis
sur la KANASHI, affluent de la LUENA. Il fut vainqueur. Après la mort de
TSHIVUNDA, le pouvoir est donné à KALIPA KAUMBA TSHINYAMA, succédé par le chef
KAWIZA TSHITETA qui régnait encore en 1947.
Au temps de TSHIVUNDA, on raconte cette histoire d’usurpation
de pouvoir par des fils et filles d’esclave.
L'actuelle Nyakatolo réside en Angola à Luena (Moxico) |
NYAKATOLO, sœur de TSHIVUNDA, et détentrice de l’anneau
impérial (LUKHANO) des TSHINYAMA, avait une fille nommée MAHONGO. TSHIVUNDA
maria sa nièce MAHONGO à un de ses notables ZENGELA. MAHONGO mourut très jeune
et TSHIVUNDA TSHINYAMA réclama à ZENGELA des dédommagements suite à ce décès.
ZENGELA donna alors une jeune esclave pour ce motif. Elle s’appelait KATAMBU.
TSHIVUNDA la débaptisa pour l’appeler MAHONGO, en souvenir de sa nièce et
décida même de l’affranchir. Plus tard, il la donna en mariage à KAHILU, un de
ses notables. MAHONGO II et KAHILU eurent sept enfants : TSHISESU(m),
KAYAMBA TSHIYAZE(m), KUTEMBA (f), KAYANDA(f), MWANA KAJILA(m), KAFUNDANGA(m) et
KALUMBU(f). Devenus adultes, ces enfants voulurent prétendre au trône, c’est
alors que TSHIVUNDA les traita d’esclaves et leur apprit l’histoire de MAHONGO
II. Une dispute s’en suivit. TSHIVUNDA se vit obligé de les chasser tous.
TSHISESU et ses frères et sœurs et toute la descendance s’en allèrent ailleurs.
TSHISESU créa sa lignée de royauté. La tradition raconte
qu’avant l’arrivée des européens TSHISESU TSHIFUNGA KAKOMA et son frère
TSHISESU KAFUNDANGA s’établirent sur la rivière LUMESHI, vers la région de
l’actuelle province de MOXICO. Ayant entendu parler des ressources du pays des
LUNDAS, ils vinrent s’en rendre compte et arrivèrent ainsi dans la région de la
DEMBO, au nord de DILOLO où ils trouvèrent chasse et divers autres produits.
L’expédition terminée, ils retournèrent vers leur région d’origine. TSHISESU
fut attaqué par son voisin KANGOMBE qui voulut s’emparer de son pouvoir.
TSHISESU appela au secours MWAKANDALA et KANGOMBA fut battu.
Suite au non-dédommagement envers le MWAKANDALA qui avait contribué à la
victoire des TSHISESU, une autre guerre éclata. Cette fois-ci TSHISESU se
tourne vers d’autres TSHOKWE et parvint à infliger une défaite à MWAKANDALA,
aidé aussi par son frère KAYAMBA TSHIYAZA. KAYAMBA mourut et succédé par son
neveu du même nom KAYAMBA qui prit le nom de TSHILEMO MUZALA. Tout ceci se
passe en Angola. C’est TSHILEMO MUZALA qui quittera enfin KASUMBI pour
s’installer au Congo Belge au bord de la rivière KAMIANDA, sous affluent de la
MUTANGALA.
MUZALA TSHILEMO eut comme successeur TSHILEMO TSHINDJANDJA.
Celui-ci connaitra des disputes avec la branche KATENDE. Des maisons furent
brûlées de part et d’autre. En 1915, le groupement TSHILEMO est constitué en
Sous-chefferie par les colonisateurs. En 1926, TSHILEMO TSHISENGA alias
KAFWANDA est nommé sous-chef, mais il est révoqué en 1929. KAJIKA TSHILEMO
prend sa place. Il mourra en 1936. Son successeur TSHILEMO TSHIPOYI eut la
chance d’être médaillé la même année (1936).
Le rapport des colonisateurs de 1926 nous renseigne que le
groupement qui porte le nom de KATENDE aurait dû être scindé en deux : il
y aurait eu deux investitures, celle des luena de SATSHILEMBE et LUFUPA de la
lignée de KATENDE KAPUMBA et celle des luena de TSHILEMO lié à TSHINYAMA.
L’Administrateur Territorial écrit qu’il était occupé à la réunification des groupements
aluena de Dilolo et de Luashi en vue de l’investiture d’un seul chef, le
candidat KATENDE-SATSHILEMBE. Mais TSHILEMO refusa de se soumettre et de
partager le pouvoir avec KATENDE tout comme il ne pouvait tolérer, par
ailleurs, d’être soumis au pouvoir du MWANT YAV auquel les colonisateurs
voulaient l’annexer. Cette situation va retarder l’organisation de cette entité
en chefferie.
Voilà comment s’est effectuée
l’occupation des terres par les Luena : ils restent jusqu’à ce jour
éparpillés entre trois pays : l’Angola où ils arrivèrent lors de la
dispersion de la Nkalany, la R.D. Congo où ils ont conquis des terres et la
Zambie, lieu d’expansion où l’on trouve des rivières significatives liées à
cette tribu de la Zambèze et de Luena. Originairement lundas, d’après
l’histoire que nous avons contée partant des sources coloniales, ou autres
orales et écrites, les luena ont eu, pendant leur migration, beaucoup de
contacts avec d’autres peuples qu’ils rencontraient sur leur route. Il s’agit
notamment de leur voisinage avec les tshokwe,
les ndembo et les minungu.
Il faut noter que pendant cette période, néfaste aux lunda,
les luena mettent l’emprise sur toute la région située au sud et au sud-est de
la rivière Luao et de Kanduku. Devant les sous-chefs lunda, ils invoquent
toujours le droit du premier occupant. D’où, leur insoumission au Mwant Yav.
L’histoire nous apprend, par ailleurs que, bien avant 1875, la région de la
Dembo, au nord de Dilolo, relevait déjà de l’autorité exclusive de Mwant Yav
qui s’était peu à peu avancé jusqu’à la Luao où il installa le chef lunda
KALENDA et jusqu’à la Kanduku où il plaça le chef lunda SAKALWILE. Poussant
plus loin, on arrive à la Lovua, où est installé TSHISANGAMA. Un autre lunda,
Kazembe Mutanda occupe la haute LUKOSHI avec une partie du bassin gauche de la
MUKULWESHI. L’empoignade pour l’occupation fut donc inévitable entre les
peuples lunda, luena, ndembo, minungu, et tshokwe. Les alliances entre eux se
font et se défont : par exemple, TSHINYAM, TSHILEMO et KATENDE tous chefs
luena, alliés aux tshokwe, marchèrent contre les ndembo des chefs KAWEWE,
SHINDI, KANONGESHA et KAZEMBE. SHINDI et KANONGESHA furent battus et faits
prisonniers. Rassurés par ces expéditions victorieuses, les luena demandent en
1916 à SUWOLA, frère de KAWEWE de leur
rendre tribut. SUWOLA refusa et fut, de ce fait, attaqué par TSHINYAMA allié à
KANGOMBE. Ceux-ci furent battus complètement par SUWOLA qui fit prisonnier le
frère de TSHINYAMA. De son côté, KATENDE
attaqua KAZEMBE. TSHILIAMUTONDO et d’autres frères de SUWOLA lui
volèrent au secours : KATENDE ne se risqua pas à une grande bataille et se
contenta de faire la rafle des esclaves chez les ndembo.
Après plusieurs années de petites guerres entre ndembo et
luena, ils firent tous alliances pour vivre en paix.
Les guerres, les alliances entre ces différentes tribus
auront, bien sûr, des répercussions aussi bien négatives que positives. Des
rancunes vont se perpétuer de génération en génération entre elles. Mais les
mœurs et les langues vont, d’autre part, s’enrichir et se ressembler les unes
des autres. Il est bien entendu que ces ressemblances ne sont pas dues
simplement et exclusivement aux contacts entre ces peuples, mais aussi et
surtout à leur origine commune. Par exemple, entre les lunda et les luena, on
ne s’y trompe pas : le lukhano,
les anneaux aux chevilles, la peau du lion ou du léopard pour les pieds du
chef, le kalombo, formule de
politesse qui sort de la bouche des sujets soumis au chef ; kalombo s’effectuant en se jetant de la
terre d’humilité les avant-bras… tout cela n’est étranger ni aux lunda, ni aux
luena, c’est leur culture d’origine commune. La diaspora n’a rien altéré chez
les fils et filles venus de la NKALANY vivant aujourd’hui chez eux, en province
de Moxico en Angola, sur les terres de la luao à Dilolo, de la Luashi à Kisenge
en R.D. Congo ou du Zambèze en Zambie.
Alain KALENDA KET
[1]
L’ouvrage Ngand yetu a été rédigé en 1963 par Madame A. E. Lerbak, Daniel
Munung, André Nawej et Jean Mij de la Mission Méthodiste de Musumba à Kapanga
[2] KAPEND
KAMAND, l’impact de l’administration coloniale sur les structures
socio-politiques des Aruund (1896-1960), Mémoire de Licence, Département
d’Histoire, UNILU, 1986, p.71, inédit.